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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 26 octobre 1860, vendredi matin, 8 h.

à quoi bon t’écrire jour par jour, mon pauvre soupçonneux ? à quoi bon distiller mon cœur goutte à goutte dans ton incrédulité sans fond ? Non seulement cela est inutile pour toi mais mortellement douloureux pour moi. Quand je pense qu’il ne m’est pas permis d’avoir un tête-à-tête involontaire de quelques minutes avec une pauvre veuve malade, exaltée, solitaire que toi-même a introduite chez moi, sans que les suppositions les plus offensantes et les plus chimériques te passent par la tête, c’est triste [1]. Aussi la honte et le découragement s’emparent de moi et je voudrais te fuir et me fuir moi-même pour échapper à cet [illis.]a stigmatisé dès le premier jour et que rien depuis bientôt vingt-huit ans de larmes, d’épreuves et de sacrifices n’a pu réhabiliter à tes yeux. J’y pense sérieusement, mon pauvre bien-aimé, et je sens que tous mes efforts pour t’inspirer l’estime que je mérite et que tu me dois n’ont aboutia qu’à te rendre de plus en plus inquiet et méfiant. Ce déni de justice perpétuel m’indigne malgré moi et m’exaspère au point de préférer tous les désespoirs d’une séparation irrévocable à cette vie côte à côte sans honneur, sans dignité, sans tranquillité et sans bonheur. La jalousie dans les conditions où tu l’éprouves n’est que la plus flétrissante des injures à mes 54 ans et la plus ingrate banqueroute à l’honnêteté et à la chasteté de mon amour pour toi.
8 h. du soir. Tout est oublié, effacé, pardonné, mon cher adoré. Je t’aime et je ne peux pas vivre sans toi quoi qu’il arrive.

BnF, Mss, NAF 16381, f. 281
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette

a) « abouti ».

Notes

[1Mme Engelson a rendu une visite tardive à Juliette, à 11 h. du soir, ce qui a beaucoup déplu à Hugo, qui note le 25 octobre dans son carnet : « Mme E. singulière visite de 11 h. à minuit chez JJ. » Le 26, il note : « Mme E. tout est expliqué. » Hugo se fait pardonner sa colère soupçonneuse : « promenade avec JJ. à St Sampson » ; et le même jour il note : « acheté pour JJ. deux coupes de – ». (CFL, t. XII, p. 1347.)

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