Guernesey, 28 nov[embre] [18]72, jeudi matin, 8 h. ½
Cher adoré, c’est encore trop que tu sois venu tout à l’heure attacher ta serviette [1] sous cette hideuse pluie. J’en suis bien touchée et bien reconnaissante et bien heureuse mais il ne faut pas cependant que tu me donnes ce bonheur au prix de ta santé, ce serait le payer trop cher. Le raisonnable, si tu veux m’en croire et en convenir avec moi, serait de renoncer au signal tout le temps que durera cette mauvaise saison. Je t’assure que mon âme te verra à travers les murs et que mes baisers sauronta bien malgré l’obstacle aller te trouver et se poser sur toi sans se perdre en route et sans se tromper. De cette façon, nous concilierons tout, ta santé et mon amour. Est-ce dit ? Tope-là et… viva el rey [2]… de mon cœur ! Comment as-tu passé la nuit, mon cher petit homme ? L’absence de Passus ne t’a-t-il pas empêché de dormir ? J’en ai plus peur qu’envie et je serai bien contente si mes craintes ne sont pas fondées. Je te fais souvenir, mon grand bien-aimé, que tu m’as promis la copie de l’écrabouillage du citoyen Ségur [3]. Mes pattes de mouches grillent d’envie de lui tomber sur la carcasse à plume raccourcie. Tu serais bien gentil de répondre à leur impatience par la prompte livraison de ton terrible manuscrit. Je l’espère et je l’attends et je te remercie d’avance de me choisir pour collaborateuse. Je t’adore.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 328
Transcription de Bulle Prévost assistée de Florence Naugrette
a) « saurons ».