6 décembre 1865

Guernesey, 6 décembre, [18]65, mercredi matin, 7 h. ¼

Bonjour, mon cher bien-aimé. Est-ce que j’ai fait ou dit quelque chose hier au soir qui t’ait déplu et mécontenté ? Si cela est, c’est bien à mon insu, car j’ai beau chercher^a, fouiller^b et scruter^c mes pensées, mes paroles et mes actions pendant cette soirée, je ne trouve rien à reprendre que l’insuffisance de mon esprit qui ne dépend pas de moi et auquel tu dois être accoutumé. Je sais que tu as eu la bonté de mettre ton mutisme et ta tristesse sur le compte de ton mal de gorge. Cette explication ne me satisfait pas davantage que ma supposition et je ne sais à laquelle donner la préférence, car je crains autant la pensée de te déplaire que celle de te savoir souffrant. Je me demande à quoi bon t’aimer comme je t’aime si tu n’en n’es pas toujours heureux et à quoi sert que tu te martyrises^d comme tu le fais pour arriver à augmenter ton mal de gorge, au lieu de le guérir [1]. Toutes ces that is the question^e m’attristent et m’agitent au point d’en être un peu fiévreuse ce matin. J’ai à peine dormi quelques heures à bâtons rompus^f cette nuit et j’ai encore un peu d’embarras d’estomac ce matin [2]. Je crains qu’il soit imprudent de prendre mon bain aujourd’hui dans ces conditions-là. Je vais attendre encore quelques heures avant de prendre un parti. Ce qui me ferait du bien ce serait de savoir que tu ne m’en veux pas, que tu m’aimes, que tu as bien dormi et que tu ne souffres plus. Tout dépend de toi et je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16386, f. 198
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette

a) « cherché ».
b) « fouillé ».
c) « scruté ».
d) « martyrise ».
e) « questions ».
f) « bâton rompu ».