Guernesey, 30 novembre, [18]65, jeudi matin, 7 h. ½
Bonjour, mon pauvre petit estropié, bonjour. Comment as-tu passé la nuit et comment va ta chère petite main ce matin [1] ? L’agaçant de ces questions c’est que je n’aurai les réponses que dans cinq ou dix heures, c’est à dire autant de temps que pour venir de Weymouth ici par un bon vent. J’espère que pour les avoir attendues sans patience, ces réponses désirées, elles n’en seront pas moins bonnes. Je vais envoyer ta bonne Page aux Lanvin qui vont être bien heureux et bien fiers. Je te remercie pour eux et pour moi. Tu vois avec quel soin j’utilise toutes tes rognures de papier, quelles quea soient leur forme et leur format. Ceci est une manière de te rappeler que je n’ai pas de papier commun à mon service : QU’ON SE LE DISE. Il y a un mois à cette heure nous courions de terribles bordées pour arriver jusqu’ici [2]. Aujourd’hui la mer est comme de l’huile et il n’y a pas un souffle de vent, ce qui prouve que les marées se suivent et ne se ressemblent pas. Mais, quelleb que soit la douceur du temps et la mansuétude du bonhomme océan, j’aime autant être dans mon lit que sur son dos, soit dit sans l’offenser. Avec lui, Zozo d’Ems, la grotte de Han, le phare à feu tournant et tutti quanti devient difficile et même impossible [3]. Cette petite considération seule suffit à me faire donner la préférence à la locomotion terrestre sur le STEAMBOATc [4] quelque perfectionné qu’il soit. Tant pis si vous n’êtes pas de mon avis. Je vais aller voir si vous êtes levé, que ne puis-je voir en même temps si vous m’aimez ! Mon cher bien aimé, je ne veux pas que tu souffres, donne-moi ta chère petite patte que je la guérisse tout de suite à force de baisers.
BnF, Mss, NAF 16386, f. 192
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « quelques ».
b) « quel ».
c) « STAMBOAT ».