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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 décembre [1835], samedi matin, 10 h.

Bonjour, mon cher adoré. Comment vas-tu, mon cher petit homme ? Comment va ta gorge ? Comment as-tu passé la nuit par le froid qu’il a fait ? Je voudrais bien avoir réponse à toutes les questions que je te fais là.
Vous m’avez fait une fière grimace hier au soir, vieux Bartholo [1], mais je vous la pardonne en faveur de votre jolie petite langue que j’ai vue dans toute sa longueur, ce qui m’a fort réjouie.
Je me fais allumer mon feu dans ce moment-ci parce que mes pauvres petits boyaux se révoltent contre la saison des frimasa qui, si j’en crois la bonne, est ce matin la plus pincée et la plus piquante du monde.
Je vous aime. Tiensb, je vais vous aimer, tant pis.
J’ai le plus grand désir de vous voir et si vous m’entendiez dans ce moment-ci, vous ne résisteriez pas à nous faire à tous les deux ce grand bonheur-là.
Il fait vraiment trop froid. Je peux à peine tenir ma plume et mes reins qui ont froid se comportent très mal à mon égard. Mais je méprise la douleur physiquec de toutes les forces de mon amour, et je continue mon histoire de cœur sans m’interrompre. Quand je dis sans m’interrompre, c’est une manière d’écrire car j’ai été interrompue précisément à cet endroit-ci par la bonne qui est venue me prier de la garder. Sur quoi je lui ai fait un long sermon que je te dirai quand tu viendras. Ensuite, sont venus la cordonnière et le charbonnier. J’ai payé l’un. Quantd à l’autre, elle était payée depuis longtemps.
Mais que je vous aime, mon bijou chéri. Mais que je vous adore. Mais que vous êtes donc mon Toto bien aimé.

J.

BnF, Mss, NAF 16325, f. 209-210
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « des frimats ».
b) « tient ».
c) « phisique ».
d) « quand ».


12 décembre [1835], samedi soir, 8 h. ¼

Étiez-vous assez méchant, assez rageur ce soir ? Aviez-vous assez envie de taquiner et de vous mettre en fureur ? Mais toutes vos grimauderies sont venues se briser contre mon calme, contre ma bonne humeur et vous avez été obligé de renfoncer bien avant vos méchancetés, tandis que moi, je sortais victorieusement toute ma gaieté et toute ma patience au grand feu de ma cheminée.
Vous savez que je vous aime ? Que je suis très bonne ? Que je vous désire toujours ? Et que je vous attends sans cesse ? Oui, mon cher petit homme, je vous aime, je vous adore, je voudrais que vous fussiez assez petit pour être porté dans mes bras. Je vous réponds qu’une fois en ma possession, il ne vous serait pas facile de vous en arracher.
Malheureusement, vous avez de grandes jambes qui vous emportent très loin de moi et qui vous y ramènenta le moins qu’elles peuvent. C’est ce qui me rend la plupartb du temps triste et grognon. Il ne faut pas m’en vouloir puisque ce n’est pas ma faute. Si je vous aime d’une façon si atroce, il faut au contraire me prendre par la douceur et par la conviction en venant très tôt, tout de suite par exemple. Je serais bien contente, bien heureuse et bien aimable.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16325, f. 211-212
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « ramène ».
b) « la pluspart ».

Notes

[1Personnage du Barbier de Séville, ou la précaution inutile (1775), comédie en quatre actes de Beaumarchais. Bartholo est médecin, tuteur de Rosine, figure de barbon et de vieillard jaloux.

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