Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1839 > Juillet > 25

25 juillet [1839], jeudi matin, 9 h. ¾

J’ai eu fièrement bon nez, mon Toto, de refuser vos propositions hier. Je m’en suis joliment bien trouvée. J’ai toujours comme ça des bonnes inspirations, moi. Comment te trouves-tu ce matin, mon petit homme ? Tu travailles tant que j’ai toujours peur qu’il ne t’arrive d’être malade. Je voulais te donner un mouchoir cette nuit et profiter de l’occasion pour te voir un petit moment de plus, mais vous m’avez refusée avec tant d’impatience que j’ai rengainé mon mouchoir le plus vite que j’ai pu, en vous laissant le choix entre vous moucher du pied ou de la manche. J’ai chez moi les raboteursa parqueteursb. Ils sont depuis ce matin dans la salle à manger. Je doute qu’ils puissentc avoir fini aujourd’hui, mais dans tous les cas c’est bien ennuyeuxd. Je vais faire faire ma chambre aussitôt la salle à manger faite, parce qu’une fois faite ils pourront revenir demain matin finir le cabinet et l’entrée si tout ne peut pas être terminé aujourd’hui. Après ça nous aurons les encaustiqueurse. Vraiment c’est bien ennuyeuxf et il me tarde d’avoir ma maison débarrassée et propre. Mais mon Toto, si vous commencez si tôt votre pièce [1], vous pourrez avoir fini en moins d’un mois ? Et alors je ne vois pas ce qui nous retiendrait à Paris, ceci une fois posé ? Là, là, là, ne vous fâchez pas, et ne faites pas la mine. Nous nous en irons quand vous voudrez et vous aurez fini quand vous pourrez. On sait ça, mais ce qu’on en dit, c’est par un bon motif : l’impatience d’être heureux. Baisez-moi et aimez-moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16339, f. 153-154
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « rabotteurs ».
b) « parquetteurs ».
c) « qu’il puisse ».
d) « ennuieux ».
e) « encostiqueurs ».
f) « ennuieux ».


Jeudi 25 juillet [1839], 7 h. ¾ du soir

Je t’écris, mon pauvre adoré, les mains noires et la figure aussi, mais c’est qu’auparavant de penser à ma toilette je pense à toi, toujours à toi. Je suis bien triste, mon pauvre adoré, de la conviction que je viens d’acquérir du peu de probité de cette fille, car il est difficilea d’admettre autre chose. Enfin je vais redoubler de surveillance, nous verrons à quoi ça aboutira. Je ne suis pas du tout d’humeur à enrichir cette Margoton aux dépensb de tes yeux adorés. Tu ne peux pas te figurer, mon pauvre ange, l’effet que m’a fait la comparaison de ma dépense passée avec celle présente. Il m’a semblé que je perdais dans une seconde le bonheur des six mois qui viennent de s’écouler, si tristement pour moi et si péniblement pour toi. Pauvre petit homme courageux, tu ne dis rien, toi. Tu portes ton fardeau sans te reposer et sans te plaindre. Tu es mon pauvre bien-aimé adoré. Aime-moi et tu seras parfait. J’ai rapporté ton petit portrait rien que pour passer la nuit mais c’est égal, je le veux là, et quoiqu’il ne soit pas aussi superbement beau que toi, je le trouve cependant assez ressemblant pour être très heureuse de le regarder [2]. Bonsoir mon cher petit adoré, je suis trop sale pour baiser tes belles lèvres roses ; c’est sur tes chers petits pieds que je passe ma fureur. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16339, f. 155-156
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « difficille »
b) « au dépend ».

Notes

[1Victor Hugo commencera le lendemain, 26 juillet, le premier acte des Jumeaux, pièce qui restera inachevée.

[2Hugo vient d’offrir à Juliette son portrait réalisé par Louis Boulanger.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne