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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 28 juillet 1858, mercredi, 7 h. du matin

Bonjour, mon bien-aimé, bonjour, sinon beau jour puisqu’il fait une pluie et un brouillard hideux ce matin. J’espère que tu auras passé une nuit digne en tout de l’excellente journée d’hier. J’ai su par Kesler que le docteur était on ne peut plus content de toi hier au soir. J’espère qu’il aura une satisfaction plus grandea encore quand il te verra ce matin. En attendant, j’ai grand peur que le mauvais temps prolongé ne retarde ta première sortie et j’en suis toute triste dans l’âme. Cependant, je te supplie de ne pas risquer la plus petite imprudence pour me donner le bonheur de te voir un jour plus tôt car il n’y a pas pour moi de sacrifice [personnel ?] que je ne sois prête à faire pour assurer ta chère santé et t’épargner le plus petit mal. Aussi, mon cher adoré, c’est bien sincèrement et bien sérieusement que je te supplie d’être prudent dans l’essai de tes forces. En attendant, je fais de la patience avec mon amour comme les enfants font du lard avec la croûte de leur pain sec. Et puis je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16379, f. 182
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « grand ».


Guernesey, 28 juillet 1858, mercredi midi

Toujours même bulletin satisfaisant du bon Docteur, mon cher petit homme, de plus il me fait espérer que tu pourras peut-être sortir vendredi ou samedi si le temps et tes forces le permettent. Dieu veuille qu’il ne se trompe pas dans son espérance. Quant à moi, je ne croirai à mon bonheur que lorsque je le tiendrai. Jusque là je n’ose pas me livrer tout entière à une espérance dont la déception me fera trop de chagrin. Je sais que le docteur a modifié ton pansement aujourd’hui en remplaçant le cataplasme par un coussinet de charpie. Il pense que tu t’en trouveras bien mieux aujourd’hui. Je sais qu’il t’a en outre permis un blanc de poulet et un abricot pour ton dîner. Dans la prévoyance de cette permission, j’avais fait cuire hier un petit poulet dans son jus et j’en avais offert à Rosalie pour toi. Je ne sais pas si elle te l’aura dit. J’ai fait en outre acheter du raisin encore plus beau et meilleur dit-on que le dernier. Jusqu’à présent tu n’as rien envoyé chercher et je n’ose pas te rien envoyer dans la crainte de paraître trop officieuse aux yeux de ta famille et pour ne pas t’excéder toi-même de ma cuisine et de mon amour. Quand Kesler viendra, s’il vient toutefois, je le prierai de te renouvelera ma proposition et de te demander des livres pour le bon docteur à qui j’en ai promis de ta part. Mon Victor, je t’aime.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 183
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « renouveller ».


Guernesey, 28 juillet 1858, mercredi, 3 h. après-midi

Je t’ai envoyé un petit blanc de poulet cuit dans son jus sans autre assaisonnement que deux ou trois feuilles d’estragon disposées dessus. Mais auparavant, mon cher adoré, j’avais pensé à demander au docteur si tu pouvais en manger cuit de cette façon et avec cette pointe d’estragon. Il m’a répondu affirmativement que tu le pouvais ainsi que du raisin dont il a admiré la beauté et la qualité tantôt. Ainsi, mon cher adoré, ne te fais pas faute ni de l’un ni de l’autre de ces comestibles non plus que d’œuf frais car outre celui que t’a porté Kesler j’en ai encore deux frais pondus de ce matin. Je vais me mettre à charpiller tout à l’heure, mon cher petit homme, malheureusement mon doigt me gêne un peu mais j’en viendrai à bout tout de même dussé-jea tirer les fils de la toile avec mes dents. Je t’ai fait demander des livres pour le bon docteur par Kesler. J’espère qu’il te sera facile de lui en donner tantôt quand il viendra m’apporter ton cher petit bulletin. En attendant, je t’aime plus que je ne saurais te le dire et plus que tu ne peux le désirer. Je t’aime, mon Victor, je t’aime, je t’aime, je t’aime.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 184
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « dussai-je ».


Guernesey, 28 juillet 1858, mercredi, 8 h. du soir

Que j’ai été mal inspirée tantôt, mon cher adoré, en ne regardant pas de ton côté dans le moment où Kesler faisait semblant d’appeler son chien. Mais j’étais si loin de penser que tu viendrais sur ton balcon par ce temps humide et froid que je ne me suis pas occupée autrement du vacarme de Quesnard. Bien mal m’en a pris car je suis très chagrine d’avoir manqué cette première occasion de te voir. Moi qui depuis bientôt quinze jours, compte les heures et les minutes par des siècles d’impatience et d’amour. Je tâche de me consoler avec l’espoir de te voir bientôt à portée de mes yeux, de mes bras, de ma bouche et de mon âme car de ton balcon chez moi, il n’y a que [illis.] pieds. Il est vrai que le tien, de pied, est encore un peu laborieux mais une bonne nuit peut le guérir assez pour lui permettre de venir jusque chez moi. En attendant, j’ai commencé avec toi [sous une  ?] des vraies espèces, déjà hier, j’avais eu la même dévotion pour le poisson. Tu vois que j’avais devancé ta pieuse pensée, mon cher adoré, comme mon amour devance toutes les bontés et toutes les tendresses du tien. Bonsoir mon bien-aimé. Dors bien et tâche de venir me voir demain si le docteur te le permet.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 185
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

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