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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 juillet 1858

Guernesey, 16 juillet 1858, vendredi, 11 h. du matin [1]

X Xa

Mon bien-aimé, mon bien-aimé, mon bien-aimé, qu’est-ce que nous avons fait à Dieu pour qu’il nous frappe si cruellement dans ta santé et dans mon amour [2] ? À moins que ce ne soit un crime de t’aimer trop, je ne me sens sérieusement coupable de rien. Que faire, mon Dieu, que devenir, toi malade loin de moi ? Je crains en t’écrivant que tu n’entendes mes sanglots et ne sentes mon désespoir dans le cri de ma plume et la force de mes mots.
Je prévoyais ce qui arrive, je m’y croyais préparée, je sens que c’est nécessaire impérieusement que tu restes chez toi, et pourtant tout mon être se révolte contre cette séparation comme devant la plus grande injustice de Dieu, comme devant le plus grand malheur de ma vie. Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi suis-je ainsi, ô mon dieu ? Cependant, j’ai du courage, mon Dieu, vous le savez ? Vous savez aussi si je désire sa prompte guérison et si je l’aime d’un amour dévoué et sans bornes, mon Victor adoré ? Pourquoi donc ce désespoir noir et profond qui m’enlève la force et la raison du même coup ? Mon Dieu est-ce que vous me haïssez, est-ce que je vous ai offensé plus que les autres créatures de ma sorte, que vous me punissiez si impitoyablement ? Oh, que je souffre, oh ! queb je t’aime, mon Victor, oh, que je suis malheureuse !

BnF, Mss, NAF 16379, f. 136
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette
[Guimbaud, Souchon, Massin, Blewer]

a) Deux croix.
b) « que que ».


Guernesey, 16 juillet 1858, vendredi soir, 10 h. ¾

Suzanne arrive de chez toi, sans avoir pu voir le docteur et savoir de lui directement s’il est bien vrai que tu vas mieux comme le dit Vacquerie et les autres personnes qui vont et viennent dans ta maison. J’espère qu’on ne se trompe pas et qu’on ne me trompe pas en affirmant que tu vas mieux et que le docteur est très content de ton état. Et pourtant mon âme reste triste jusqu’à la mort, malgré cette bonne nouvelle. Tant que je ne t’aurai pas revu, tant que mes baisers, mes caresses, mes yeux et mon cœur ne t’auront pas touché, repris et reconquis, je serai la plus malheureuse des femmes. Je suis presque aveugle ce soir à force d’avoir pleuré. Mais j’ai supplié Kesler, Mlle Allix et Rosalie de ne t’en rien dire et de te laisser croire au contraire que je suis très calme et très résignée. Quand tu liras toutes ces divagations de mon pauvre cœur malade tu seras guéri et je serai heureuse et il n’y aura plus de danger et tu pourras te moquer de mes craintes folles. Oh ! que je voudrais être à ce moment-là, mon Victor adoré. Hâte-toi de te guérir. Je te bénis. Je t’aime.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 137
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette
[Souchon]

Notes

[1Les lettres du début du mois de juillet ne sont conservées ni à la BnF, ni à la MVHP.

[2Suite à un clou survenu le 30 juin, Hugo est atteint depuis le 3 juillet d’un anthrax dans le dos, et d’un gonflement des jambes. Comme le note Evelyn Blewer (ouvrage cité, p. 258), le même jour, les dernières lignes qu’il écrit avant l’immobilisation que lui impose sa maladie sont adressées à Juliette Drouet. Les voici : « [16 juillet 1858] Mon ange adoré, je vais bien – mon maudit pied me fait moins souffrir. À bientôt. – / Je t’aime. / Tu trouveras trois (3) livres sous ce pli. » (Jean Gaudon, ouvrage cité, p. 219). Cette maladie empêche Hugo d’écrire, et l’immobilise chez lui jusqu’au 4 août, date de sa première sortie, consacrée à Juliette Drouet. Il ne reprend ses notes sur son agenda que le 15 septembre (CFL, t. X, p. 1455). Il se considère guéri (la plaie étant refermée) le 4 octobre (ibid., p. 1454) et reprend une vie normale en novembre.

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