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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 novembre [1840], jeudi soir, 4 h. ¾

Votre bâton merdeux vous aime mais vous ne pouvez pas le SENTIR, ce qui n’est que trop prouvé et voilà pourquoi la pauvre Juju a des accès de tristesse dont vous vous moquez comme un sans cœur que vous êtes. Il faudra pourtant que je mette bon ordre à cela parce qu’il n’est pas juste que je sois bâton merdeux pour rien.
Il y a un mois, à cette heure-ci, nous étions encore dans la voiture de maître Adam [1], côte à côte, la main dans la main, la bouche sur la bouche et l’âme dans l’âme, regrettant les deux bons mois de bonheur qui venaient de s’écouler plus rapidement que deux heures de la vie ordinaire. Nous étions déjà tristes de notre retour car nous savions à l’avance qu’une fois revenus dans ce hideux Paris tout loisir, toute joie, tout bonheur et tout amour est perdu dans une mer d’occupation et d’ennui. Cependant, mon adoré, je ne suis pas ingrate et je reconnais que le bon Dieu a eu pitié de moi cette fois-ci et qu’il n’a réalisé mes tristes pressentiments qu’à demi. Je n’ai plus les nuits entières, les jours complets et tous les charmants incidents du voyage, mais j’ai encore, et j’en bénis le Ciel, des matinées et des demi-nuitsa ravissantes. Je tremble à chaque instant de les voir finir car je sais, par expérience, combien cette maille échappée est difficile à reprendre. Aussi je prie bien ardemment le bon Dieu de prolonger le plus possible cet état de chose. Je t’aime mon Toto. Je t’adore mon Victor. Baise-moi. C’est comme un fait exprès voilà deux jours qu’il fait très beau pendant lesquels tu aurais peut-être pu me faire sortir et le guignon veut que je n’aie pas de gants pour profiter de l’occasion. Quand j’en aurai il est probable qu’il pleuvra à torrents et que tu seras très affairé. Voime, voime, ce qui fait que notre fille est muette [2] et que la pauvre Juju reste toujours à la maison. À propos pensez, mon amour, à apporter du papier car celle-ci est la dernière feuille de tout le gros tas que vous m’aviez donné. Tiens te voilà mon chéri, quel BONHEUR !!!!!!!!b
Cher scélérat vous faites un homme bien habile de commander à dîner à cette heure-ci dans un quartier comme le nôtre. Apprêtez-vous à pendre vos dents au croc et votre cœur à ma boutonnière. Je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16343, f. 185-186
Transcription de Chantal Brière

a) « demies nuits ».
b) Huit points d’exclamation courent jusqu’au bout de la ligne.

Notes

[1Hugo et Juliette ont fait un voyage qui les a conduits sur les bords du Rhin. Ils ont quitté Paris le 29 août et sont revenus le 1er novembre.

[2« Et voilà pourquoi votre fille est muette » est une citation du Médecin malgré lui de Molière, employée pour mettre un terme à une démonstration oiseuse.

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