29 juillet 1840

Mercredi 29 juillet [1840] après-midi, 4 h. ½

Bonjour Toto. Où êtes-vous scélérat ? À qui pensez-vous brigand ? Qui aimez-vous bandit ? Si vous vous donniez la peine de me faire toutes ces questions-là je ne serais pas embarrassée pour vous répondre mais je doute que vous soyez aussi ferré que moi sur le sentiment. Tâchez toujours de venir nous [1] chercher pour le feu d’artifice. Ce n’est pas que j’y tienne beaucoup mais comme je n’ai pas d’autre chance pour vous revoir avant minuit je la saisis avec enthousiasme et je vous supplie^a de m’amener au feu d’artifice avec fureur. Je vous resupplie^b encore de nouveau d’envoyer les livres de M^me Krafft chez le relieur. Je ne sais pas ce que je ferais pour n’avoir plus à m’occuper de cela. C’est devenu pour moi plus qu’une chose ennuyeuse^c, je t’en supplie^a, mon Toto, pense à m’ôter cette épine du pied. J’ai bien assez de mes yeux de perdrix [2] sans y ajouter d’autre accessoire ainsi tu m’obligeras beaucoup de me délivrer de cette préoccupation^d. Jour Toto, jour un petit o, papa est bien i. La vieille femme est toujours sur son banc qui épluche ses pieds, ses bas et autres zaillons plus ou moins hideux et pouilleux. C’est un spectacle plein de charme et de mélancolie. Je n’ai pas encore pu venir à bout de nous peigner et de nous débarbouiller. En vérité tu nous fais^e lever trop tard, il n’y a pas moyen de s’en tirer. Demain j’entends et je prétends être levée avec l’aurore ou sinon^f je vous fiche des coups et je dis à tout le monde ce que vous faites tout bas dans le lit. Taisez-vous alors et levez-vous tout de suite et surtout aimez-moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16343, f. 59-60
Transcription de Chantal Brière

a) « suplie ».
b) « resuplie ».
c) « ennuieuse ».
d) « préocupation ».
e) « fait ».
f) « si non ».

29 juillet [1840], mercredi après-midi, 4 h. ½

Aime-moi, mon cher petit bien-aimé. Aime-moi car je t’aime, moi, plus que ma vie. Je pense toujours à toi. Je t’aime, je t’aime, je t’adore, je te désire, je t’attends, je t’appelle, je baise tes pieds.
Jour Toto, jour mon petit o. Je te donne ma chaîne, PORTE-la pour l’amour de moi. Ce sera un MYTHE un peu rococo à la vérité mais très léger et très facile à réaliser sinon^a au moral du moins au physique^b. Il me semble que je dis des bêtises ? Ça doit être et tu ne t’en effarouches^c pas plus que moi car depuis le temps que tu me fais t’écrire tous les jours tu dois y être habitué. Enfin je veux dire que si tu veux garder pour l’amour de moi et comme souvenir de ta pauvre Juju ce petit bout de chaîne d’or, tu me feras grand plaisir et je dis plus, une grande joie, un grand bonheur. QUEL BONHEUR !!! Il y avait longtemps que ce cri n’était sorti du bec de ma plume. Je le lance dans l’espace de papier blanc que voilà en attendant que je le pousse contre tes oreilles et à la face du ciel. Je vous aime Toto. Je crois qu’il fera encore de l’orage ce soir mais ça ne fait rien, ce sera très gentil de patauger avec toi dans les Champs Élysées. Quel bonheur ??? S’il ne pleut pas à torrents je réclame un ou deux phénomènes, ça n’est pas trop pour toute une année. Il est vrai que je pourrais sans gêner ma conscience mettre au rang des phénomènes curieux le nez de M^me Buloz [3] mais quelque beau, quelque grand, quelque gros qu’il soit je veux voir encore autre chose ce soir pour deux sous, vous entendez. Je vous aime Toto.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16343, f. 61-62
Transcription de Chantal Brière

a) « si non ».
b) « phisique ».