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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 février [1840], vendredi après-midi, 1 h.

Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour mon adoré. Comment vas-tu mon bon petit homme ? Comment vas-tu mon Toto ? J’espérais que tu viendrais déjeuner ce matin mais tu ne viens plus du tout à présent, c’est fort triste et fort décourageant. Je sais bien que tu travailles mais je sais aussi qu’il faut bien que tu te reposes quelques heures, tout ce que je te demande c’est de donner la préférence à mon lit sur le tien et c’est ce que je n’obtiens pas. C’est très vilain et très méchant de votre part et j’ai mille fois raison de vous en faire honte et de m’en affliger. Je garde cependant tout exprès pour vous un petit lapin ravissant qui attend pour se mettre à la broche que vous lui fassiez l’honneur de souper AVEC LUI. Je vous en prie, mon Toto, donnez-moi ce bonheur très prochainement si vous ne voulez pas que je me fâche tout rouge. Vous ne m’apportez plus rien à copier cependant je vous ai rendu jour à jour tout ce que vous m’avez donné à copier et je m’y suis appliquée de mon mieux. Pourquoi donc me retireza-vous votre pratique ? Je soupçonne une certaine scélérate de Didine d’accaparerb toute la besogne et de marcher sur mes brisées en me coupant l’herbe sous le pied mais je lui ficherai des culottes et à vous aussi. Je ne veux pas qu’on empiète sur mes droits et privilèges et je donnerai des gifles à quiconque se donnera de ces airs-là. En attendant baisez-moi, aimez-moi et tâchez de souper avec nous ce soir. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 210-211
Transcription de Chantal Brière

a) « retirer ».
b) « acaparer ».


28 février [1840], vendredi soir, 5 h. ½

J’étais prête aujourd’hui et vous auriez pu à la rigueur nous mener chez la mère Pierceau pour nous faire prendre l’air et marcher un peu mais vous l’avez senti de loin et vous n’êtes pas venu de peur d’être pris au mot. J’ai une lettre de M. Pradier qui me contrarie beaucoup car je ne veux pas l’ouvrir dans la crainte de vous déplaire et peut-être y a-t-il quelque chose de presséa dedans comme par exemple de tenir Claire prête à présent. Dans tous les cas elle l’est à peu près et pour ne pas lui donner d’impatience je ne lui ai pas dit que j’avais une lettre de son père. Et tantôt est-ce que vous nous mènerez pas à quelque théâtre ? N’importe lequel je n’y tiens pas, mais je tiendrais à faire sortir cette pauvre Claire qui n’a de congé que le nom et qui est plus prisonnière cent fois ici que dans son établissement. Il y a huit jours aussi que je n’ai mis le nez dehors. Quand vous étiez candidat [1] vous me disiez que c’était la raison qui vous empêchait de me faire sortir. Maintenant c’est je ne sais pas quoi mais je reste à rognonnerb dans mon coin comme une vieille galeuse. Baisez-moi, vieux vilain, et tâchez d’arriver bien vite. Je vous dis que vous êtes une vieille bête. Baisez-moi et menezc-nous aux Pages de Louis XII [2] plutôt que de ne pas nous mener du tout. C’est-à-dire non, j’aime mieux la mort par strangulation que par asphyxiec mais venez vite car je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 212-213
Transcription de Chantal Brière

a) « pressée ».
b) « rognoner ».
c) « asphixie ».

Notes

[1Hugo était candidat à l’Académie française.

[2Vaudeville de Ferdinand de Villeneuve et Théodore Barrière, créé au Théâtre de la Renaissance le 6 février 1840.

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