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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 février [1840], dimanche, midi ¾

Sérieusement, mon petit homme, est-ce que tu ne m’aimes plus ? Qu’est-ce qui t’empêche donc de venir te reposer auprès de moi la nuit ? Il me passe des soupçons bien odieux par la tête et que je repousse de toute la force de mon amour. Mais quoi quea je fasse il m’est impossible de ne pas m’apercevoir que tu n’es plus pour moi aussi empressé qu’autrefois. Tous les jours et toutes les nuits tu as de nouveaux motifs pour ne pas venir me voir. Mais, mon petit bien-aimé, regarde dans ton cœur et tu verras que ce ne sont pas des affaires qui t’éloignent de moi mais ton refroidissement. Voilà quinze jours pleins que tu n’es pas venu déjeuner avec moi, il est bien impossible que je me fasse illusion sur cet éloignement significatif. Je t’en prie, mon adoré, ne me cache rien de ce qui se passe dans ton cœur. Si tu ne m’aimes plus je ne sais ce que je deviendrai mais au moins je ne te ferai pas des plaintes inutiles et ridicules car rien n’est plus ridicule que d’aimer seule. Si ce sont vraiment tes occupations qui t’éloignent de moi tâche d’en négliger quelques-unes pour me donner un peu de joie et de bonheur. Entends-tu mon petit homme. Je t’aime si tu savais comme je t’aime. Je vais copier les vers si doux et si tristes de la place Louis XV [1]. Je les ai lus cette nuit aussitôt que tu as été parti. La première strophe m’a serré le cœur car tu parles d’une femme et d’un bras charmant qui serrait le tien et tout de suite j’ai cru voir une rivale, je me suis trompée, n’est-ce pas ? Je t’aime mon Toto, c’est bien [illis.].

BnF, Mss, NAF 16341, f. 192-193
Transcription de Chantal Brière

a) « quoique ».


23 février [1840], dimanche soir, 4 h. ¾

Je pense toujours à toi, mon Toto, et toujours avec amour, mon adoré, quoique triste et impatiente au fond du cœur. Voici encore la journée passée sans te voir. Aujourd’hui tu aurais pu venir le matin car enfin ce n’est pas le matin que les visites te viennent et c’est le dimanche que tout ton monde va à la messe. Si tu me trompais, mon adoré, c’est-à-dire si tu ne m’aimais plus ce serait atroce de me faire faire la vie que je mène dans le seul but de notre bonheur, de notre repos et de notre amour. Je t’en prie, mon Toto, donne-moi bien vite des preuves que tu m’aimes, que tu tiens à moi et qu’il te serait aussi impossible qu’à moi de cesser de m’aimer. Si tu savais, mon Toto, comme la crainte de ne plus être ta pauvre bien-aimée, ta pauvre Juju, me rend stupide et malheureuse. Tu m’aimerais pour avoir le plaisir de changer tout ce malheur en joie et en rayon. Je veux que tu viennes cette nuit aussitôt que tu auras lu ce gribouillis. Je veux que tu viennes ou je croirai que tu ne m’aimes plus et Dieu sait ce qui arrivera. J’ai eu un petit accès de fièvre, je ne sais pas pourquoi mais enfin j’ai un bobo à la lèvre. Je t’ai copié tantôt la place Louis XV [2]. Chaque nouvelle chose que je lis de toi, il me semble que tu t’es surpassé, c’est une illusion comme celle qui me fait croire que je t’aime tous les jours davantage comme si c’était possible quand on aime de toute son âme depuis le premier jour comme je le fais et quand comme toi on a été baptisé sublime [3] des premiers vers qu’on a fait. Mais ce terrain ensemencé d’un échafauda qu’on ne voit pas encore et qui germe [4] cependant est une chose effroyablement grande et belle. Mon Dieu que je t’aime mon Toto.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 194-195
Transcription de Chantal Brière

a) « échaffaud ».

Notes

[1« En passant dans la place Louis XV un jour de fête publique », Les Rayons et les Ombres, XXV.

[2« En passant dans la place Louis XV un jour de fête publique », Les Rayons et les Ombres, XXV.

[3Allusion aux propos de Chateaubriand sur le jeune Hugo, « enfant sublime » ?

[4« En passant dans la place Louis XV un jour de fête publique » : Louis seize, le jour de sa noce royale, /Avait déjà le pied sur la place fatale / Où, formé lentement au souffle du Très-Haut, / Comme un grain dans le sol, germait son échafaud ! 

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