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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 mai 1840

16 mai [1840], samedi après-midi, 4 h.

Vous voilà parti, mon adoré, et je ne sais pourquoi votre départ ne flaire pas baumea mais bien une hideuse absence de 36 heures. Si je me trompe tant mieux, mon Dieu, je redemande que ça et de tout mon cœur encore. Cependant j’en suis pour ce que j’en ai dit et si je fais faire votre dîner pour 7 h. ce soir, ce sera par pure obéissance et déférence à votre volonté mais non dans l’espoir que vous viendrez le manger. Je sens déjà la tristesse et la jalousie qui me galopentb, ça promet pour les deux jours qui vont s’écouler. Enfin je ferai de mon mieux pour n’être pas trop méchante mais je suis sûre que je ferai de mon plus mal pour être la plus ennuyéec, et la plus tourmentée, et la plus malheureuse des femmes. J’ai de plus pour m’aiguillonner la pensée que vous ne résistez à aucune occasion de voir les femmes toutes nues et que vous y trouvez même du plaisir ; et comme ces occasions ne sont pas rares par le temps qui fait je ne suis rien moins que tranquille et je donnerais de bon cœur toutes les femmes à pendre et ma voisine plutôt deux fois qu’une pour être bien sûre de plus revoir sa dégoûtante carcasse. Tâchez de ne pas aller à cette campagne [1], mon amour, et je serai joyeuse et je baiserai vos chers petits pieds moins par reconnaissance que par amour : votre cravated est très jolie et vous va très bien, vos brodequins vous idéalisent les pieds et votre chère petite figure broche sur le tout comme le soleil dans son ciel. J’ai votre cher petit bouquet sous les yeux, c’est un échantillon de votre galanterie qui me fait désirer d’en voir plus long et plus large comme par exemple : de laisser la campagne et les compagnes s’épanouir sous le beau ciel de Sannoise [2] et de venir passer avec moi toute cette journée, toute cette nuit et toute la journée, et toute la nuit de demain et toujours en réitérant du même à la même. Voilà ce qui serait adorable et que vous ne ferez pas malgré tout ce que j’en ai, et tous mes vœux, tous mes désirs et tout mon amour. Vous m’aviez promis de m’apporter à copier mon Toto et vous l’oubliez toujours. Cependant je suis à votre disposition pour cela et pour tout ce que vous voudrez excepté pour aimer votre absence et pour tolérer vos observations sur le plus ou le moins de honte et de pudeur des toupies [3] environnantes.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16342, f. 145-146
Transcription de Chantal Brière

a) « beaume ».
b) « galoppent ».
c) « ennuiée ».
d) « cravatte ».
e) « Sannoy ».

Notes

[1La famille Hugo s’installe au château de la Terrasse à Saint-Prix pour la saison d’été.

[2Village proche de Saint-Prix.

[3Toupie : Femme de mauvaise vie.

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