Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1837 > Novembre > 21

21 novembre [1837], mardi matin, 10 h. ¾

Bonjour mon petit Toto, bonjour mon adoré petit homme. Vous n’êtes pas venu encore cette nuit. Il faudra que j’essaye du Tribunal de Commerce [1] pour rentrer dans mes droits, car j’ai eu beau vous mettre en demeure, j’ai beau réclamer, c’est absolument comme si je chantais la chanson que chantait Lisette [2]. C’est fort tristant [3] (comme dit ce pauvre [N.  ?] [4]). J’ai cependant rêvé de vous ce matin. Vous m’aimiez, alors c’était charmant. Je voudrais encore y être puisque ce n’est plus qu’en rêve que je m’aperçoisa que vous m’aimez. Et mes journaux ? Et mon jugement ? J’espère que vous ne vous ferez pas attendre jusqu’au jour du dernier (jugement) pour m’apporter celui d’hier. Vous avez sans doute oublié que vous avez promis de me conduire chez Mme Pierceau, parce que tout ce qui me regarde ne vous intéresse pas et que vous ne pensez à moi que lorsque vous me voyez. C’est fort triste. Il fait un temps ravissant. J’ai mal à la tête. Ce serait bien le cas de me faire sortir mais vous vous en donnerez bien de garde [5]. Je vais cependant me lever pour vous mettre encore plus dans votre tort. Jour To. Jour gros To. Je vous aime mon Victor. Je t’aime mon ravissant petit homme. C’est qu’aussi tu es si beau, si noble, si généreux que tous les sens sont pris à la fois, les yeux et l’âme, c’est pas ma faute mais je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 79-80
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « m’apperçois ».


21 novembre [1837], mardi soir, 4 h. ¾

Voici bientôt cinq heures mon vieux loup, et je ne vois pas trace de vous. Je suis plus que sûre que vous ne viendrez pas et je suis sûre aussi que je ne vous en voudrai pas le moins du monde. Je sais trop combien vous êtes exact quand vous pouvez. Malheureusement vous ne pouvez pas souvent. J’aurais pourtant bien voulu aller jouir de votre triomphe [6] à la barbe du sociétaire D [7]. lui-même et savoir un peu de quel œil il envisage cette chiquenaude appliquée si vigoureusement sous le nez colossal de la Comédie-Française. Je vois bien que je ne pourrai pas y aller et je me résigne d’avance comme je fais tous les jours et toute l’année pour toutes les choses que je désire et qui ne m’arrivent pas.
J’ai lu les journaux, c’est-à-dire ce qu’il y a d’intéressant. La victoire est des plus complètea. J’aurai donné deux sous pour cela que cela n’aurait pas été mieux. Oh ! ce jugement ! Oh ! c’te pièce ! Sans ce monsieur qu’a montréb sa dix-septième lettre de l’alphabet [8], y aurait pas eu moyen [9] d’y tenir, parole d’honneur.
Je vous aime toto, je vous aime scélérat, et il n’y a pas beaucoup de quoi. Voilà ce qui en fait le mérite à défaut du charme. Je vous adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 81-82
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « complette ».
b) « montrer ».

Notes

[1C’est au Tribunal de Commerce que s’est tenu le procès gagné par Hugo contre la Comédie-Française.

[2La chanson « Lise chantait dans la prairie », également intitulée « La Chanson de Lisette » est tirée de la célèbre comédie de Monvel, Blaise et Babet (1783). Composé par Dezède, son air a été maintes fois repris dans des vaudevilles. Il faut ici comprendre l’expression comme l’équivalent de « pisser dans un violon ».

[3Comprendre « triste », confusion volontaire avec « attristant ».

[4À élucider.

[5« S’en donner de garde » : se méfier, faire attention, prendre garde. Ici Juliette veut plutôt dire « vous vous en garderez bien ».

[6La Cour s’est prononcée en faveur de Hugo contre la Comédie-Française.

[7Parmi les sociétaires de la Comédie-Française, un seul homme au XIXe siècle possède un patronyme commençant par la lettre D : Desmousseaux.

[8Le Q, évidemment. – L’erreur sur le pronom relatif (« qu’ » au lieu de « qui ») est volontaire, pour imiter le parler populaire.

[9« y aurait » au lieu de « il n’y aurait » : formule volontairement fautive, pour imiter le parler populaire.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne