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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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4 mars 1840

[6 ?]h. ¾ du soir, 4 mars [1840], mercredi des Cendres, jour anniversaire

Il y a sept ans à pareil jour [1] et à pareille heure j’étais heureuse comme aujourd’hui et je t’aimais comme aujourd’hui, mon adoré, il n’y a rien de changé dans mon cœur quoique toute ma vie l’ait été depuis ce premier jour-là. J’espère que le bon Dieu nous fera la grâce de nous retrouver tous les deux, dans le même espace de temps, dans le même bonheur et le même amour ; pour moi c’est la seule chose que je lui demande dans mes prières en le supplianta de me faire mourir auparavant que tu ne m’aimes plus.
J’ai retrouvé les vers, mon bien-aimé, et je les ai recopiés tout de suite, tu me les avais donnés pour le jour de l’an de 1839 [2]. Ils sont adorablement bons et généreux. Le bon Dieu ne pourrait trouver des paroles plus douces et plus consolantes que les tiennes, mon adoré. Merci du fond de l’âme, merci à genoux de toute la force de mon amour. Tu me diras ce soir si je t’ai copié les vers qui commencent ainsi : Quand tu me parles de gloire je souris amèrement [3] etc. En cherchant ceux que tu me demandais j’ai trouvé ceux-là et je ne me souviens pas si tu les as. Mon Dieu que je t’aime mon amour. Je voudrais te servir et baiser tes petits pieds à tous les instants de ma vie.
Voici qu’on m’apporte une lettre de Mme Kraft, j’espère qu’elle ne me causera aucun chagrin et que tu ne me feras pas de scène à propos de son style et de son orthographe ? C’est que vous êtes coutumier du fait, vieux scélérat. La bonne est revenue de chez Mme Triger qui nous fait bien des compliments ainsi que la mère Pierceau qui y était avec son fils. Vous avez été bien i tantôt de me dicter ma correspondance, vous faisiez un bon nez, je m’en vante, et moi je riais en dedans de vous faire enrager à si bon marché. Une autre foisb je vous forcerai à me dicter les lettres à [Mmes ? Cuissier et Foussier ?] pour voir comment vous supporterez ce nouvel impôt prélevé sur votre génie épistolaire. Voime, voime, par exemple je ne vous chargerai pas de vous dire combien je vous aime parce que vous n’en diriez pas la moitié assez. Je ne m’en rapporte qu’à moi pour ça et encore ne suis-je pas contente tous les jours ; ce que je sens est bien au dessus de ce que je dis, mon cœur est bien plus riche que mon esprit et mon âme bien plus parfaite que mon style. Je suis bête comme une oie quand je vous écris et je vous aime comme un ange. Je voudrais bien te voir, mon adoré, est-ce que tu ne viendras pas auparavant minuit ? Ce serait fort triste et je ne sais pas comment je ferai d’ici là car je sens une impatience et un besoin de baiser ta belle bouche qui ne peut s’exprimer. Je t’aime trop mon cher petit homme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 230-231
Transcription de Chantal Brière

a) « supliant ».
b) « autrefois ».

Notes

[1Juliette et Hugo ont deux fêtes commémoratives : la nuit du 16 au 17 février et le Mardi-Gras, que Hugo fond dans Les Misérables en une seule quand il décrit la nuit de noces de Cosette et Marius.

[2Il s’agit du poème « Il fait froid », daté du 31 décembre 18** et inséré dans Les Contemplations, I, II, XX.

[3Les Rayons et les Ombres, XXIV.

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