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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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17 juillet 1851, jeudi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon tout bien aimé, bonjour. Comment vas-tu, mon pauvre petit homme ? Est-ce enfin aujourd’hui que tu parles [1] ? Je le désire autant que je le redoute pour toi et pour moi. Cependant puisqu’il faut que tu te sacrifies, absolument mieux vaut plus tôt que plus tard pour que tu puissesb te reposer et te soigner après avec un peu plus de tranquillité et de suite.
Je ne sais pas ce que l’avenir me garde mais je sens que je suis à bout de courage et de force. Mais ce n’est pas le temps de te parler de moi, mon pauvre bien-aimé, surtout quand tu souffres et que tu te dévouesc.
Il t’a été impossible de venir me voir hier après la séance ? Je le comprends et je ne t’accuse pas. Encore si je pouvais avoir de tes nouvelles, savoir comment tu te portes et si cette tension opiniâtre et forcée de ton esprit n’agit pas en mal sur ta pauvre gorge, mais rien que l’isolement et l’ignorance c’est pour en devenir folle d’impatience et d’inquiétude. Vraiment je ne suis pas heureuse. Je voulais ne pas te parler de moi et je ne fais pas autre chose, tant ma vie est mêlée à la tienne comme l’atome dans le rayon du soleil. Je suis triste, je souffre, j’ai la tête malade, je ne sais plus ce que je dis, il me semble que ma raison s’en va. Mon pauvre bien-aimé, pardonne-moi toutes ces douloureuses divagations dont tu es la cause involontaire.

Juliette

BnF, Mss NAF 16369, f. 123-124
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « tu te sacrifie ».
b) « que tu puisse ».
c) « que tu te dévoue ».


1851, 17 juillet, jeudi soir, 9 h.

Je vois, mon pauvre grand bien-aimé, que tu n’es pas encore délivré de ton sublime accouchement grâce au mauvais vouloir dont tu es l’objet. Maintenant il n’est plus guère possible que cela n’ait pas lieu demain. Quelle journée je vais encore passer, mon Dieu. Je suis comme les sauvages qui se couchent quand leurs femmes sont en mal d’enfant. Depuis que je te voisa à l’œuvre je t’assure que je comprends cette collaboration à la façon des peaux rouges et que je ne me sens pas la moins malade ni la moins fatiguée dans ce long et laborieux accouchement qui amènera à terme un beau et admirable discours qui grossira d’autant ta nombreuse et sublime famille. Il n’y a donc plus que patience et courage à avoir d’ici à demain. Il serait bête à moi d’en manquer quoique il y ait encore 24 mortelles heures d’ici à la porte du Moniteur. Je me mords le bout de la langue pour me donner de la salive et je tâche de croire que tout est pour le mieux avec les pires des réactionnaires. Tâche de te coucher de bonne heure, mon pauvre bien-aimé, et de dormir si c’est possible. Je ne te demande même pas de penser à moi. C’est une besogne que je ferai pour nous deux mais je veux t’aimer à moi toute seule et sans partage.

Juliette

BnF, Mss NAF 16369, f. 125-126
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « que je te vois ».

Notes

[1Le 17 juillet 1851, Victor Hugo prononce à l’Assemblée son célèbre discours, « Révision de la Constitution », dans lequel il prend la défense de la République contre la demande de modification de la constitution qui autoriserait Louis-Napoléon Bonaparte à se présenter une seconde fois à la présidence. Hué et interrompu une centaine de fois, il est contraint de rester à la tribune plus de trois heures et demie. Durant tout ce temps, il réclame l’abrogation de toutes les lois votées contre le suffrage universel, contre la liberté de l’enseignement, contre la liberté de la presse ou encore contre le droit de réunion. Il réaffirme les principes républicains : la souveraineté du peuple et la reconnaissance de la Révolution française. Louis-Napoléon fait alors l’objet d’une insulte restée célèbre et qui soulève une rage de protestations : « Quoi ! après Auguste ! Augustule ! Quoi ! parce que nous avons eu Napoléon le Grand, il faut que nous ayons Napoléon le Petit ! » Victor Hugo gardera un souvenir amer de ce discours et de cet instant, qu’il notera en 1875 dans Le Droit et la Loi, préface au recueil de ses discours. « Être un contre tous, cela est quelquefois laborieux. »

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