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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 6 novembre 1852, samedi matin, 8 h.

Bonjour mon cher petit homme, bonjour mon intrépide impérialiste, bonjour. Quant à moi j’ai besoin d’étayer mon opinion de chaque côté et encore est-elle si chancelante que je n’oserai pas la produire en tout temps et en tout lieu de peur de lui casser le nez à le première occasion un peu raide. Cela ne m’empêche pas d’avoir joui de tous les incidents charmants de notre promenade d’hier, voirea même du parapluie que vous gardiez à vous tout seul et du monument druidique [1] que vous n’avez pas su trouver à trois. C’est grand dommage que les journées soient si courtes et le ciel si capricieux car voilà nos chères petites promenades accrochées pour six grands mois. J’envisage ce sort sans trop d’effroi parce que j’espère que tu viendras travailler auprès de moi et que tu me donneras à moi-même du bon travail. Mais si je n’avais pas cette espérance, je ne serais peut-être pas aussi crâne devant cette future vie d’huître solitaire. Heureusement que je [illis.] et que j’en suis d’avance très heureuse. Une chose que je n’ai pas dite hier dans la préoccupation de mon bonheur, c’est la réponse de mon beau-frère [2] qui me dit avec sa bonté et sa bonhomie ordinaires que je ne me tourmente pas et qu’il pourra attendre jusqu’au mois de décembre. Mais, plus ce brave homme met d’obligeance et de confiance en moi, plus je me sens le besoin de n’en pas abuser, au moins en apparence. Aussi, mon Victor bien-aimé, je te supplie de ne pas retarder d’une minute l’envoi de cet argent dès que tu le pourras. Il se charge de faire le recouvrement le moment venu. Puis il me dit, chemin faisant, que mon neveu [3] travaille beaucoup, qu’il a toujours été premier en rhétorique depuis la rentrée des classes. Il espère que d’ici à deux ans, il sera bachelier es-lettres et es-sciences. Enfin sa lettre est pleine de cordialité et d’amitié comme toujours. C’est vraiment un homme parfaitement bon et je suis bien heureuse de l’avoir pour ami et pour frère, parce que c’est un dévouement de plus que je peux mettre à ton service en toute chose et en toute occasion ; maintenant, mon cher petit homme adoré, je te remercie du fond du cœur de toute la joie et de tout le bonheur que tu m’as donnés hier et je t’attends avec une tendre impatience pour te l’écrire en baisers sur ta belle bouche.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 137-138
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « voir ».


Jersey, 6 novembre 1852, samedi matin, 10 h. ½

Je suis vraiment honteuse d’étaler mes platitudes sur du papier aussi mirobolant. Mais pareille à cette duchesse, je mange de la brioche à défaut de pain en attendant que vous m’approvisionniez de vieux papier rassis.
Savez-vous, mon cher petit homme, que je n’ai pas dormi deux heures cette nuit et que j’ai brûlé une bougie tout entière ? Je n’en n’avais pas le droit, après une si bonne et si charmante journée. Je reconnais que je suis en infraction avec le règlement qui veut que le sommeil et la santé de la nuit soient en raison direct du bonheur de la journée. J’ai eu tort, j’en conviens, de ne pas dormir comme une SOUPE mitonnée et de n’avoir pas rêvé le RESTE. Mais ce n’est pas ma faute, je t’assure car j’y ai mis toute la bonne volonté possible. J’espère réussir mieux la nuit prochaine, mais d’ici-là je serai très fatiguée et très endolorie, à moins que quelque incident heureux dont tu disposes ne vienne faire une salutaire diversion à mes maladies. Cela ne serait pas impossible si le temps continuait d’être aussi vaillant que ce matin et cela, sans bourse déliée, mon amour, car nos jambes ont bien leur charme ; honni soit qui mal y pense. Quant à moi, je ne serai pas du tout humiliée de battre la campagne avec vous aujourd’hui et tous les autres jours qu’il vous plaira. Les Saint-Clément [4] et les Pontac ne sont pas à dédaigner même après les Plémont et les Gorey et je vous assure que je m’en lècherai volontiers les barbes depuis le talon jusqu’aux yeux. Je consens à être avec vous partout et comme vous voudrez. Voilà ma profession de foi définitive. Maintenant c’est à vous à en faire ce que vous voudrez. Voilà ma profession de foi définitive. Maintenant c’est à vous à en faire ce que vous pourrez. En attendant je vous envoie toutes mes plus tendres, tendres protestations d’amour, de dévouement et d’admiration. Je vous dirai le reste entre deux baisers quand je vous reverraia.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 139-140
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « revois ».

Notes

[1Juliette fait vraisemblablement référence au Dolmen du Faldouet qui « situé non loin du château de Montorgueil a conservé son allée, autrefois couverte, et une large chambre, surmontée à son extrémité, d’une gigantesque pierre. » Gérard Pouchain, Dans les pas de Victor Hugo en Normandie et aux îles anglo-normandes, Orep Éditions, 2010, p. 58.

[2Louis Koch qui a épousé la sœur aîné de Juliette, René-Françoise Gauvain. Juliette entretient une correspondance suivie avec le couple établi à Brest, cf. Juliette Drouet, Lettres familiales, texte établi et présenté par Gérard Pouchain, Condé-sur-Noireau, Éd. Corlet, 2001

[3(Jean)-Louis Koch qui deviendra professeur d’allemand.

[4Saint-Clément : baie la plus au sud-ouest de l’île de Jersey et paroisse.

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