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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 31 mai 1852, lundi matin, 10 h.

Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour je t’aime. Pense à moi pour que ta pensée pénètre mon âme comme un doux rayon de soleil. Comment vas-tu ce matin ? As-tu bien dormi ? Voilà deux jours que tu te couches bien tard eu égard au bacchanal [1] matinale de ta place. Quand je suis avec toi, l’égoïsme l’emporte et je voudrais que la soirée ne finisse jamais. Mais quand tu es parti, les remords m’arrivent et je suis très mécontente de moi. Ces deux dernières soirées n’ont pas dépendua de moi et pourtant elles me pèsent sur la conscience tant la responsabilité de ta tranquillité et de ta santé est une chose qui me préoccupe et qui fait partie de mon bonheur personnel. Aussi, mon cher petit bien-aimé, depuis que je sais que tu es réveillé à cinq heures du matin, je ne veux plus, quoi qu’il m’en coûte de privations, que tu veilles tard. Ce que je perdrai en plaisir de te voir, tu le gagneras en sommeil. Il n’y a donc pas à hésiter. Et puis il dépend de toi de rétablir l’équilibre en venant de bonne heure dans la journée. Aujourd’hui, par exemple, rien ne me serait plus doux que de travailler côte à côte avec toi. Je suis sûre que cela me donnerait de l’entrain et me ferait oublier mes mille petites infirmités dont je souffre pourtant beaucoup au moment même où je te griffouille ceci. Je ne sais pas ce que j’ai, mais je me sens tout à fait patraque. Je voudrais n’yb pas songer et, malgré moi, chaque mouvement que je fais me rappelle le souvenir de mes maux. Décidément je suis une Juju peu attrayante. Je me rends cette justice à moi-même en priant Dieu que de votre côté vous ne vous en aperceviez pas et que vous m’aimiez sans y regarder de trop près. En attendant, mon Toto, je vous adore autant et plus que si j’étais toute neuve.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 87-88
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « dépendues ».
b) « ni ».


Bruxelles, 31 mai 1852, après-midi, 2 h.

Je ne sais pas comment tu fais pour t’acclimater à ce temps d’ours blanc. Quant à moi, je souffre, je gèle, je geins et je grelotte comme en plein hiver. J’ai du feu au poêle et j’ai remis mes vieilles nippes ouatées comme en janvier sans pouvoir me réchauffer. C’est au point que je n’ai ni force, ni courage. J’ai beau réagir sur ma paresse et sur mon malaise je ne peux pas en triompher. Je ne sais pas ce que cela veut dire. Pourtant je vais me mettre tout à l’heure à copire. Il ne sera pas dit que j’aurai passé deux jours sans m’imprégner de mon cher petit manuscrit [2]. J’ai l’espoir que cela me fera du bien mais j’en serais encore plus sûre si tu venais travailler auprès de moi.....

5 h. ½

Cher adoré, tu es venu je t’ai vu, j’ai vécu auprès de toi et je suis presque guérie. Je crois que si tu pouvais revenir ce soir, je serais tout à fait guérie et qu’il n’y paraîtrait plus demain. Mais si tu as ton pauvre Toto, cela ne te sera pas facile, et je ne te le demande même pas. Ce pauvre enfant, je comprends tout le besoin qu’il a de te voir après une si longue absence et après de trop douloureuses épreuves peut-être aussi [3]. Mon Victor adoré si je ne te vois [pas] je saurai que tu consoles ce pauvre affligé et, loin de t’en vouloir, je t’en aimerai encore davantage si c’est possible, et je t’attendrai avec toute la patience, tout le courage et toute la résignation de mon respect pour tes devoirs de famille, de mon dévouement pour tout ce qui t’appartient et de mon adoration pour toi. Mon Victor, tu es bien éprouvé de toutes parts dans ce moment ci, mais tu n’as jamais été plus grand, plus sublime, plus admiré et plus adoré par tout ce qui est bon et intelligent et par moi, humble femme qui t’aime à genoux comme un Dieu.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 89-90
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Bacchanal : Grand bruit, tapage.

[2Victor Hugo travaille à Napoléon le Petit.

[3Le 30 mai Charles reçoit une lettre de son frère François-Victor, récemment libéré de prison, qui s’épanche et demande s’il peut venir rejoindre les siens à Bruxelles.

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