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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 22 février 1852, dimanche matin, 8 h. ½

Bonjour, mon Victor, bonjour mon bon petit homme, bonjour avec tout mon cœur et avec toute mon âme. As-tu mieux dormi cette nuit et ton rhume se passe-t-il ? J’ai prié M. Yvan de m’apporter le plus tôt possible quelque chose pour t’empêcher de tousser. Il m’a promis d’y penser et aussi de te visiter la gorge avec soin pour savoir si elle est tout à fait guérie. Tu ne t’y refuseras pas j’espère. D’ici là il faut éviter les refroidissements surtout aux pieds.
Cher petit homme, je te demande pardon d’avoir laissé percer hier un regret trop vif en songeant que tu allais faire cette nouvelle excursion si près de l’autre et sans moi. Je n’ai pas été maîtresse de ce premier mouvement d’égoïsme. Mais tu n’avais pas fini de m’expliquer les motifs qui te faisaient désirer de la faire que je m’étais résigné à cette nouvelle séparation. Il suffit que tu en aies eu le projet pour que je ne m’y oppose pas car mon bonheur ce n’est pas de t’imposer des privations, c’est de te savoir heureux n’importe comment. Mais cette fois, mon bien-aimé, il y a une double raison pour que tu fasses ce petit voyage de plaisir puisqu’il s’agit de ne pas laisser aller ton fils tout seul. Je t’en prie, mon Victor, n’y mets aucun retard et aucun obstacle pour moi parce que cela substituerait un remords à la place du regret de me séparer de toi. Je veux que ce pauvre Charles me doive ce plaisir, s’il est vrai que mon influence soit pour quelque chose dans ta détermination.
J’ai encore eu un autre tort hier, mon pauvre adoré, sans compter les autres dont je ne m’aperçois pas, celui de te tourmenter à propos de jalousie. Je t’en demande pardon tout en accusant le hasard qui se plaît à jeter des doutes dans mon pauvre cœur chaque fois que je veux vérifier un fait. Enfin ce n’est pas ta faute et ce n’est pas une raison pour t’en tourmenter. Je t’en demande pardon, mon doux bien-aimé et je t’aime d’autant plus que je suis injuste envers toi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 127-128
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette


Bruxelles, 22 février 1852, dimanche, midi

Après la grêle le soleil, après la jalousie la confiance. Le cœur a aussi ses giboulées. Après les larmes le sourire, après le découragement, l’espérance. Mon Victor, je te souris, je t’aime. Je ne sais pas quand je te verrai mais je sais que je t’aime et que tu es mon bonheur et ma vie. Tu ne peux pas l’ignorer non plus depuis le temps que je te le dis et que tu en as la preuve. Aussi, ce n’est pas pour te l’apprendre que je te répète tous les jours la même chose, c’est pour avoir le plaisir de mirer mon amour dans toutes ces tendresses répétées à satiété. Seulement je m’aperçois que mes miroirs ne sont pas très fidèles et me font souvent la grimace là où je devrais voir mon âme en beau. C’est égal. J’y reviens malgré cela avec une ténacité qui fait plus d’honneur à mon amour qu’à mon amour-propre. Taisez-vous et ne faites pas chorus avec les tristes vérités que je vois dans ce moment-ci.
Cette stupide Suzanne n’a pas su me dire comment tu allais. Je l’avais pourtant chargée de te le demander positivement mais c’était une raison pour qu’elle ne le fît pas. Quel charmant service que celui d’un âne rouge même quand il répond au nom de Suzanne. Encore si je pouvais espérer te voir de bonne heure aujourd’hui ? Mais je n’ose pas m’y fier car je sais combien ces espoirs-là se réalisent peu souvent. Pour n’avoir pas le chagrin de la déception, je laisse ma pensée flottante et je ne m’applique qu’à t’aimer. Le bonheur viendra quand tu pourras me l’apporter. En attendant je te baise de l’âme et je t’adore de tout mon cœur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 129-130
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

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