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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 25 septembre 1852, samedi matin, 6 h. ½

Bonjour, mon bon petit homme, bonjour. J’ignore si vous êtes déjà à l’affût de vos dromadaires marins mais vous voyez que je suis déjà à mon poste de Juju vous envoyant mes plus tendres fusillades sans en rater une seule afin de vous montrer l’exemple… Suiiiiiiivez-moi dans cet exercice et tâchez d’emboîter le pas. Je vois d’ici la maigre Suzanne luttant d’os avec l’onde britannique, je ne sais pas à qui restera la victoire, mais il est impossible de rien voir de plus mesquin comparé à ce qu’il y a de plus grand. Cette antithèse me frappe à cause des grandes évolutions que se permet ce petit avorton dans cette belle grande eau si calme et si sereine. Tout cela, mon bon petit homme, ne me dit pas si je vous verrai ce matin et encore moins si vous me ferez sortir tantôt. Pourtant ce n’est pas la curiosité de votre chère petite personne et le besoin de vaquer avec vous qui me manquent. À peine ai-je les yeux ouverts que c’est pour m’enquérir de ces deux choses les plus nécessaires à ma vie et à mon bonheur : te voir et sortir avec toi. Je n’insisterai pas pourtant ne voulant pas te faire de cela une obsession et une scie. Si tu peux venir de bonne heure ce matin je serai parfaitement heureuse, si tu ne le peux pas je tâcherai de n’être pas trop malheureuse. Si tu peux me faire sortir tantôt je serai dans toutes les joies de mon cœur et de mon âme, si tu ne le peux pas je bisquerai un petit peu. Dame on n’est pas parfait.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 365-366
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette


Jersey, 25 septembre 1852, samedi, midi

Je te demande pardon, mon cher petit homme, de cette espèce d’antipathie physique plus forte que ma volonté qui me fait redouter plus que tout au monde cette plaisanterie épigastrique. Je t’assure que rien ne m’est plus agaçant et même plus douloureux à de certains moments que la seule appréhension d’une pression quelconque à cet endroit stupidement sensible. Je regrette de n’avoir pas su dissimuler jusqu’au bout cette sensiblerie ridicule mais tu as pu juger par l’explosion de mon impatience combien j’étais peu maîtresse de moi en ce moment-là. J’espère, mon cher petit bien-aimé, que tu n’en aurasa pas gardé une mauvaise impression et que cela ne t’empêchera pas de venir le plus tôtb possible si aucun empêchement ne s’y oppose. Je viens de voir passer Mézaize se dirigeant vers ta maison. Depuis une demi heure j’observe une créature quelconque courant des bordées dans l’intervalle du rocher par lequel tu t’en vas jusqu’aux premières planches de mes palissades. Elle paraît attendre quelqu’un. J’espère que ce n’est pas toi. Elle vient de monter et de disparaître précisément à l’endroit où tu as coutume de t’enfoncer et de disparaître toi-même. Du reste la grève est parfaitement libre et déserte et si cette dame préfère ce petit espace c’est qu’elle a de bonnes raisons pour cela. Quant à moi, j’espère que cela ne me regarde pas et je continue mon gribouillis avec une imperturbable confiance et une sécurité complète à preuve que je vous aime et que je vous baise de toute mon âme voirec même de mes blancs de poulet.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 367-368
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « n’en n’auras ».
b) « plutôt ».
c) « voir ».

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