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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 28 décembre 1852, mardi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, tâche de dormir pendant que le vent se tient un peu tranquille et rêve que je t’aime jusqu’au SANG. Je viens de voir arriver un bateau à vapeur tout à l’heure, probablement celui de Southamptona. Peut-être apportera-t-il enfin quelques nouvelles pour toi. Mais dans tous les cas il n’y a plus que patience à avoir jusqu’à jeudi. Pendant ce temps-là tu profiteras du séjour forcé de ton Charlot [1] pour faire faire ta chère petite frimousse que j’adore. J’espère que rien ne s’y opposera, ni la barbe, ni le soleil car il fait bien beau ce matin. Je sais bien que cela ne signifie rien pour l’état de l’atmosphère tantôt mais enfin CHEST UNE ECHEPÉRANCHE. Avec tout cela, mon petit homme, je m’aperçois que vous ne m’avez pas rapporté vos vers d’un ami de l’ordre à un démagogue ainsi que ceux qui vous sont personnels. Si c’est comme cela que vous me faites travailler et que vous prétendez me rendre heureuse, je ne vous en fait pas mon compliment. Et puis il viendra un moment [où] vous me bousculerez pour avoir vos copies tout de suite, au risque de me donner des courbatures. Voime, voime ce sera fort habile de votre part et surtout très délicat. Taisez-vous, vieux Toto, vous n’avez pas la parole. Laissez-moi débagouler mon indignation et contentez-vous de m’apporter ce que je vous demande à cor et à cri, ça vaudra bien mieux. Et puis baisez-moi si vous en avez le courage et aimez-moi si le cœur vous en dit. Quant à moi, je prends mes aises, puisque je suis dans une île, et je vous aime tout autour de moi et à perte de cœur et encore plus loin ; telle est mon audace.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 321-322
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « Soupthamton ».


Jersey, 28 décembre 1852, mardi après-midi, 1 h. ½

C’est tout au plus, mon cher adoré, si tu trouveras le moment de faire faire ton petit daguerréotype dans ces alternatives de pluie et de beau temps qui se disputent depuis ce matin entre le ciel et la terre. Il n’y a qu’un instant il faisait noir comme dans un four, maintenant le soleil reluit comme au mois d’août ; mais, pour s’en servir, il faudrait être prêt tout de suite et voilà ce qui est difficile pour deux êtres aussi peu prévoyants que toi et Charles. Ce pauvre Charles [2], je ne veux pas abuser de mon incognito pour lui dire des sottises, surtout dans le moment où j’espère un produit de son industrie. Je veux au contraire le flatter pour mieux obtenir de lui ce que je désire. Mais, en dehors de mon vil égoïsme, je le plains, ce pauvre garçon, et je voudrais qu’il fût en mon pouvoir de le guérir tout de suite et dès ce soir il pourrait reprendre le cours de ses travaux. Malheureusement je n’y peux rien, que le plaindre à distance, ce dont il se soucie comme de l’an 40. En attendant, mot dont j’abuse dans mes élucubrations quotidiennes, je voudrais bien te voir pour m’assurer si tu as passé une bonne nuit et si tu as des nouvelles de ta pauvre femme. Il est plus que probable qu’elle t’aura écrit très régulièrement mais que ses lettres auront été retardées par la curiosité de la police française. Pardon, mon bon petit homme, de m’occuper sans cesse de cela mais c’est que je t’aime en dehors de toi et jusque dans tous les tiens. Voilà pourquoi ma pensée va de toi à eux sans interruption. Tâche de venir bien vite, mon Victor adoré, car je t’attends avec une soif d’âme d’une pauvre Juju qui ne s’est pas désaltérée depuis bientôt 20 heures. Et puis tâche d’obtenir du grand artiste Charlot le petit chef-d’œuvre que tu m’as promis. Je vous attends l’un portant l’autre avec impatience.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 323-324
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Charles Hugo est le principal opérateur du laboratoire photographique qu’il aménage, à partir de novembre 1852, au rez-de-chaussée de Marine Terrace, dans la grande pièce sombre donnant sur la serre. Outre le daguerréotype que le proscrit Jean-Jacques Sabatier lui a enseigné à Jersey, Charles a séjourné au printemps 1853 à Caen auprès du républicain Bacot, ami de Victor Hugo, en vue de se perfectionner dans d’autres techniques (collodion et albumine sur verre).

[2Charles Hugo est le principal opérateur du laboratoire photographique qu’il aménage, à partir de novembre 1852, au rez-de-chaussée de Marine Terrace, dans la grande pièce sombre donnant sur la serre. Outre le daguerréotype que le proscrit Jean-Jacques Sabatier lui a enseigné à Jersey, Charles a séjourné au printemps 1853 à Caen auprès du républicain Bacot, ami de Victor Hugo, en vue de se perfectionner dans d’autres techniques (collodion et albumine sur verre).

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