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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 27 décembre 1852, lundi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon pauvre petit homme, bonjour, mon doux affligé, bonjour. Comment vas-tu ce matin ? Je pense à toi, mon pauvre adoré, je te plains et je t’aime de toutes les forces de mon âme. Cependant en y réfléchissant bien, mon Victor adoré, je crois que le silence de ta femme est un bon signe et qu’il est probable qu’elle aura réussi à amener tout de suite son fils. Jeudi prochain tu en auras le cœur net. Mais d’ici là c’est encore bien long pour ton impatiente inquiétude. Et puis encore ne serait-il pas possible qu’il y ait eu des lettres arrivées pour toi hier chez la mère [Boynet ?] Tu n’y as peut-être pas songé ? Quant à moi, mon pauvre petit homme, je ne pense qu’à cela parce que je sens de quel intérêt c’est pour ton bonheur ; et, comme il m’a été impossible de dormir cette nuit, j’ai pensé à la mère [Boynet ?]. Si j’avais osé j’y aurais envoyé Suzanne de ta part ce matin mais j’ai craint qu’on ne la prît pour une moucharde ; et, autre chose encore, j’ai craint de te déplaire. Aussi je ne fais pas autre chose que de te le dire à distance dans l’espoir que le fil électrique de mon cœur au tien t’avertira qu’il y a là quelque chose peut-être et que tu y enverras voir tout de suite.
En entendant la tempête de cette nuit, je songeais au retour de ta pauvre femme jeudi. Pourvu qu’elle ait beau temps, ce sera un tourment de moins pour toi et pour tes enfants. Ô je voudrais déjà qu’elle fût revenue avec son fils afin de voir ta noble et belle figure reprendre sa sérénité et sa gaîté. Tu ne peux pas savoir, mon doux adoré, combien ton sourire est nécessaire à ma vie. Il me semble que mon cœur absorbe des rayons de soleil chaque fois que ton beau sourire s’épanouit sur tes lèvres. Mon Victor, mon bien-aimé, ne te tourmente pas, j’attends et espère. Je prie [illis. ] toi et je t’adore.

Juliette.

BnF, Mss, NAF 16372, f. 317-318
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette


Jersey 27, décembre 1852, lundi matin, 11 h. ½

J’espère pour toi que tu n’as pas l’affreuse migraine que j’ai en ce moment-ci et que j’attribue à l’affreuse nuit que j’ai passéea. Dans ce cas-là, mon cher petit homme, je te supplie de faire faire ton cher petit portrait aujourd’hui même, pendant que tu as ta barbe fraîche et un peu plus la possession de ta chère petite personne [1]. Moi je suis abrutie dans mon coin et c’est tout ce que je peux faire que de te gribouiller mes impressions de migraine. Divertissement dont tu [te] passerais bien, même fût-il en latin. En attendant, j’entends mon propriétaire [2] qui fait des reproches à sa femme du ton d’un prédicateur en chaire. J’aime mieux cela que les bousculades ponctuées de gifles car je crois que celles d’hier n’ont pas peu contribué à me donner mal à la tête. La femme a beau être peu intéressante, je ne peux pas supporter entendre les corrections maritales que lui administre son mari sans que tout mon sang se bouleverse. Hier j’ai été sur le point de descendre les séparer. Suzanne m’en a empêchée et elle a bien fait car cela ne me regarde pas et que ma présence ne pouvait qu’irriter davantage le mari peut-être. Mais à partir de ce moment-là, j’ai eu des douleurs de cœur très vives et mal à la tête. L’insomnie de cette nuit m’a achevée. Mais, mon pauvre adoré, je te parle sans cesse de moi et de mes maux comme si je n’avais rien de mieux à faire quand je t’écris et pourtant Dieu sait que je ne pense qu’à toi et à tout ce qui t’intéresse. Je voudrais te voir pour te rappeler la mère [Boynet ?] et son AUGUSTE pseudonyme car il me semble presque impossible que ta femme ne t’ait pas écrit, à moins que plus heureuse que nous n’osons l’espérer elle ait réussi à enlever son pauvre petit Toto de vive force et avant qu’il ait eu le temps de se reconnaître. Dans ce cas-là, béni soit son silence et à jeudi la fin de toutes nos inquiétudes. D’ici là je t’adore encore plus.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 319-320
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « passé ».

Notes

[1Charles Hugo est le principal opérateur du laboratoire photographique qu’il aménage, à partir de novembre 1852, au rez-de-chaussée de Marine Terrace, dans la grande pièce sombre donnant sur la serre. Outre le daguerréotype que le proscrit Jean-Jacques Sabatier lui a enseigné à Jersey, Charles a séjourné au printemps 1853 à Caen auprès du républicain Bacot, ami de Victor Hugo, en vue de se perfectionner dans d’autres techniques (collodion et albumine sur verre).

[2Le propriétaire de l’auberge Green Pigeon.

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