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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 9 décembre 1852, jeudi matin, 8 h.

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, mon grand porte-clef de la conciergerie, bonjour, mon sublime fustigeur, bonjour. Je ne vous prêterai pas mon échine. Merci, vous les arrangez trop bien. Je plains le fessier de Boustrapa quand il s’assoira sur son trône après que votre fouet aura passé par là. Décidément, je commence à croire que l’extradition ne serait pas une précaution inutile et je l’approuve d’y avoir songé. Voime, voime, pauvre Boustrapa, quoi que tu fasses désormais je ne voudrais être dans ta peau d’empereur, fût-elle doublée de maroquin comme celle de ton ami et électeur Abd-el-Kader [1]. Seulement, je regrette de ne pouvoir pas assister aux effroyables grimaces que te fera faire chaque coup de vers [2] bien appliqué sur ta carcasse impériale. C’est dommage car ce sera tout à la fois effrayant et burlesque. Je voudrais déjà être à ce moment-là parce que, même de loin, on entendra les cris de fureur de tous les misérables et immondes scélérats enfermés pour l’éternité dans l’histoire dont tu as tiré les verrous. En attendant, mon cher petit vengeur et pourchasseur de démons, je t’aime comme mon doux et terrible petit Toto que tu es.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 245-246
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette


Jersey, 9 décembre 1852, jeudi après-midi, 2 h.

Je fais tout ce que je peux pour t’attendre sans tristesse, mon cher petit homme. Dieu sait comment j’y réussis, surtout quand je pense que c’est aujourd’hui jour de la poste. Décidément il faut que je fasse une CONNAISSANCE avec laquelle je puisse parler de vous en votre absence. Il me semble que cela m’aidera à tirer les heures avec moins d’impatience. Ce n’est pas que je sois désœuvrée de ma main, mais je le suis si fort de la vie proprement dite que je ne sais jamais où j’en suis quand tu n’es plus là. Vous avez beau dire, mon cher petit démagogue de tabagie, chaque fois que je vous vois ajuster votre TROMBLON [3], je tremble pour mon repos. Je n’aime pas non plus ces gueuletonsa unis où se rencontrentb pêle-mêle, tête-bêche, des Hongrois, des Parisiennes, des Polonais et des daguerréotypeuses, d’illustres poètes et de grandes paillardes. Ce cosmopolitisme, moitié bottes molles et beaucoup trop peaux de lapins, ne me va que tout juste et m’édifie encore moins. Il me semble que Charles et Vacquerie peuvent suffire à eux deux à représenter dignement la proscription française auprès de ces femelles quelque vésuviennes qu’elles soient. Tenez, prenez garde à vous, car je sens que je suis capable de prendre votre gaz avant que vous n’ayez eu le temps de l’allumer au feu de ces patriotiques chaffouska, blaguenovska et autres mazurka.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 247-248
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « gueletons ».
b) « se rencontre ».

Notes

[1Abdelkader, l’opposant à la conquête de l’Algérie par la France, emprisonné à Amboise, reçoit le 16 octobre 1852 la visite de Louis-Napoléon Bonaparte, qui lui annonce sa prochaine libération. Le 7 janvier 1853, Abd el-Kader arrivera à Constantinople.

[2Vers des Châtiments.

[3Tromblon : Chapeau haut-de-forme évasé au sommet.

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