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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 9 juin 1852, mercredi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon petit homme, bonjour mon cher bien-aimé, pense à moi. Je t’aime. Amuse-toi, sois heureux et reviens le plus tôt que tu pourras, je t’adore.
J’ai craint cette nuit que l’orage se prolongeant tu ne puisses pas faire ta petite partie de campagne, mais heureusement cela n’a fait que nettoyera le ciel bleu et vous aurez le plus beau temps du monde [1]. Profites-en, mon cher petit homme, pour respirer un peu d’air pur, pour rafraîchirb tes pauvres yeux adorés, et pour reposer ta tête qui doit être bien fatiguée par ce travail opiniâtre et absorbant auquel tu te livres depuis le coup d’État [2]. Mon regret c’est de ne pouvoir pas partager tes joies fugitives, mais ma consolation c’est de te savoir heureux. Aussi, mon cher adoré bien-aimé, amuse-toi bien, pense à moi et tâche de revenir le plus tôt possible. Moi pendant ce temps j’achèverai de copier les notes que tu m’as données et probablement le reste de ma vraie copie. Voilà comment je compte employer mon temps. Quant à mon cœur, je n’ai pas à m’en occuper, je le laisse errer à ta suite, lui recommandant de faire bonne garde et d’écarter de toi tous les dangers, jeunes prétendues, les femmes coquettes et toute cette variété féminine qui s’offre ou se laisse prendre par quiconque satisfait ses sens, sa vanité, sa cupidité. Je ne sais pas pourquoi je me sens tourmentée par un vague pressentiment de trahison. Ce déjeuner d’hommes à la campagne qui peut se prolonger en dîner, tout cela me paraît assez peu vraisemblable pour cacher quelques amusements moins honnêtes. Il est probable que ce sera comme tout ce que je découvre, comme le dîner de M. B. Lefebvre [3] il y aura des fiancées et des FILLES en disponibilité pour ceux qui en voudront. Si je me trompe, je t’en demande pardon de tout mon pauvre cœur jaloux. Si cela est, je te laisse toute la responsabilité de ma tristesse et de mon chagrin. Mon Dieu qui savez toute chose, dites-moi ce que je dois croire ou de ma jalousie ou de son honnêteté.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 121-122
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « nétoyer ».
b) « raffraichir ».


Bruxelles, 9 juin 1852, mercredi matin, 10 h.

Plus j’y pense, mon Victor, moins je me rends compte de cette partie improvisée. D’abord l’heure insolite du rendez-vous, quand on considère la petite distance de chez toi à Saint-Josse-ten-Noode, cette ignorance complète de la manière dont vous emploierez votre temps avant et après le déjeuner. Cette prévision d’un dîner s’ajoutant au déjeuner, tout cela me paraît bien singulier et si peu vraisemblable, que je crois tout à fait le contraire. Je crois que tu n’as accepté cette heure matinale ainsi que ton fils que parce que vous aviez une grande distance à franchir. Je crois que tu sais très bien chez qui tu vas, avec qui tu seras et quels sont les plaisirs indiqués sur le mystérieux programme que tu m’as caché et COMMENT et par qui tu dois être hébergé. Je suis si sûre de mon pressentiment que rien ne peut m’en distraire. Je souffre toutes les douleurs de la jalousie la plus motivée. Il est évident que si tu n’avais pas un intérêt coupable à me cacher la vérité, tu m’aurais dit tout de suite pourquoi tu sortais ce matin et chez qui tu allais. Si je te soupçonne à tort je t’en demande bien humblement pardon. Mais si tu me trompes, que mes souffrances soient ta punition, car depuis ce matin je souffre comme une damnée.
Cher bien-aimé, je viens d’essayer de la prière pour me calmer et pour donner une autre direction à ma pensée et faire diversion à l’atroce douleur que j’ai au cœur. J’y ai à peu près réussi. Je crois que tu m’aimes, que tu m’es bien fidèle et que tu es incapable de me tromper. Je le crois, mon doux adoré, et je veux que ma confiance contribue à ton bonheur aujourd’hui. Sois heureux, mon cher bien-aimé, pense à moi et viens le plus tôt possible. Je t’attends le sourire sur les lèvres, la confiance dans les yeux, l’amour dans le cœur et la joie dans l’âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 123-124
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Excursion à Saint-Josse-Ten-Noode, commune des environs de Bruxelles.

[2Victor Hugo a entrepris les rédactions successives d’Histoire d’un crime et de Napoléon-le-Petit.

[3Proscrit régulièrement invité chez Hugo.

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