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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 juin 1852

Bruxelles, 5 juin 1852, samedi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon trop adoré, bonjour. Dormez et tâchez de rattraper le temps perdu hier au soir car je suppose que vous êtes rentré très tard. Et bien comment s’est passée votre soirée ? Avez-vous absorbé beaucoup de gâteaux et de coucousa mélodiques ? Avez-vous ingurgitéb beaucoup de rafraîchissements et de gargouillades ? M’avez- vous beaucoup trahi et avec de très jolies femmes ? Je n’ai pas précisément besoin de votre sincérité pour le savoir. Il me suffit de la gazette Luthereau et compagnie pour être informée de vos faits et gestes les plus secrets. Aussi j’attends l’heure du déjeuner pour savoir tout ce qui s’est passé à ce prodigieux RAOUT. Et le jeune Charles a-t-il fait plus que ses frais ? Je l’ai rencontré hier à l’entrée de la rue Royale, il était très beau, moins beau que vous cependant. Cela m’a fait plaisir de voir ce fac-similé [1] vivant de vous-même. Cher adoré, vous voyez bien que je suis gaie puisque je ris de toutes mes forces. Mais je le serai bien davantage si j’entrevoyais pour moi quelques bonnes journées d’excursion, d’air, de liberté, de bonheur et d’amour. Malheureusement j’ai beau me hausser sur la pointe la plus élevée de mon espoir je ne vois rien poindre de pareil à l’horizon et pourtant j’ai la vue de l’âme assez perçante pour ces choses-là. Aussi ma gaîté est-elle un peu mitigée de tristesse car, puisque d’après toi, ce sont nos dernières bonnes années, je trouve que nous en profitons bien peu. Mais c’est égal, mon doux bien-aimé, je suis heureuse car je t’aime et je crois que tu me le rends un peu. Il n’y a que la foi qui sauve. Dormez mon petit homme et ne vous réveillez que le plus tard possible puisque je ne dois pas profiter de votre réveil matinal. Je vous baise de l’âme. Dormez.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 105-106
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « coucou ».
b) « vous êtes-vous ingurgité ».


Bruxelles, 5 juin 1852, samedi après-midi, 1 h.

Quand je vous l’avais dit que je saurai toute votre INFAME conduite d’hier. JE SAIS TOUT, je ne vous demande pas le RESTE, je le devine. Il paraît que l’on s’est fort diverti puisque vous n’êtes sorti qu’à 5 h du matin. Mais je vous pardonne, TELLE EST MA GRANDEUR. Il me semble que c’est un peu généreux, aussi pour récompense j’espère que vous viendrez tout à l’heure. Sinon je reprends toute ma magnanimité et je redeviens la plus féroce des Juju. En attendant je suis plus douce qu’un mouton et je vous aime comme un chien. Je ne demande pas à sortir car je suis une pauvre patraque qui n’a pas le courage de mettre un pied devant l’autre. Mais je serais bien contente si tu pouvais venir de bonne heure. Ma joie c’est d’être auprès de toi, mon bonheur c’est de vivre à côté de toi peu m’importe le lieu et le moment. Aussi, mon petit Toto, ce n’est ni la promenade, ni le spectacle, ni les distractions d’aucune sorte que je te demande, c’est toi, toi tout seul, mais toi tout entier. Si je pensais qu’en dehors de tes affections de famille tu désires ou regrettes quelqu’un ou quelque chose, adieu tout mon bonheur, je sens que je n’aurais pas le courage de vivre. Mon Victor aimé, je te répète à peu près tous les jours la même chose sans me lasser mais toi tu dois éprouver un véritable ennui de lire continuellement la même tendre rengaine. Je le sens sans pouvoir y remédier tant je suis à court de tout ce qui n’est pas de l’amour. C’est très bête mais je ne peux pas refaire ma nature. Et puis tu as le droit de ne rien lire, un remède à tout, car me laissant le plaisir de griffouiller.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 107-108
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Fac-similé : Françoise Heilbrun voit dans l’utilisation de ce terme l’influence des premiers daguerréotypes du poète réalisés dans la capitale belge. « A Bruxelles Victor Hugo semble avoir profité des premiers beaux jours pour faire tirer son portrait au daguerréotype » (En collaboration avec le soleil, Victor Hugo photographies de l’exil, Paris-Musées, 1998, p. 43)

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