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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 mars 1852

Bruxelles, 23 mars 1852, mardi matin, 9 h.

Bonjour mon doux petit homme, bonjour, je suis heureuse, je t’aime. Je veux que tu en fasses autant pour moi de ton côté. Je voudrais aussi que tu prennes l’habitude de sortir tous les jours après ton déjeuner. Je te promets d’en faire autant et de ne pas te tourmenter pour que nos deux promenades n’en fassent qu’une. Je sens que tu peux avoir mille empêchements s’opposant à notre réunion quotidienne. Mais ta santé, mon cher petit homme, m’est plus précieuse encore que mon propre bonheur. C’est pourquoi je renonce à notre trop charmant projet de nous retrouver à un endroit convenu. Tu sortiras de ton côté et moi du mien, et quand tu pourras sans trop te déranger venir me rejoindre je serai trop heureuse. En attendant il faut sortir tous les jours, le plus que tu pourras. Je t’en prie bien mon Victor. Il fait un temps exquis aujourd’hui dont je ne profiterai pas pourtant parce que je n’ai rien de prêt. Mais d’ici à quelque jour il est probable que je serai en mesure d’éblouir tous les Belgiquois ignorés et célèbres. D’ailleurs j’aime la maison, moi je m’y plais et ma santé, quoia qu’en dise Yvan, n’a rien à perdre à rester chez moi. Aussi je peux suivre mon goût sans inconvénient. Vous, c’est bien différent, l’exercice est de toute nécessité pour votre santé et pour votre plaisir. Usez-en donc mon adoré pour que je jouisse du printemps à travers vous. Mais auparavant il faut que je vous demande pardon de mes nouvelles méchancetés et que je vous promette bien sérieusement de travailler à me corriger. Je fais de mon mieux qui a été jusqu’à présent bien mal et puis je compte sur votre inépuisable bonté et votre inaltérable patience que j’admire sans pouvoir l’imiter et puis je t’aime mon Victor à plein cœur et à pleine sève d’âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 241-242
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « quoiqu’en ».


Bruxelles, 23 mars 1852, mardi matin, 11 h. ½

Suzanne doit être chez toi dans ce moment-ci. Je l’envie d’avoir le privilège de te voir chez toi, mon doux adoré, quand moi je suis forcée de t’attendre chez moi. J’envie tous les gens qui t’approchent, je suis jalouse de tout ce qui te plaît. Je regrette amèrement de ne pouvoir pas être pour toi ce que tu es pour moi, TOUT. Cela ne m’empêche pas de désirer que tu sois le plus heureux homme du monde sans moi. À preuve c’est que je ne veux pas que tu te prives de rien de tout ce qui peut y contribuer. Demain tu as le cours Deschanel [1], après demain le dîner de Mme Laska, vendredi ou samedi le dîner fin chez Dumas. Tu vois mon petit homme que sans compter les nouvelles invitations qui peuvent survenir d’ici-là, tu as une bonne petite somme de distractions en réserve pour cette seule semaine. Profites-en, mon cher petit homme, pourvu que tu m’aimes. Mon lot est encore le meilleur et je le préfère au tien. Mais il ne faut pas dédaigner la sortie de l’après-midi, je l’exige absolument car je veux que tu te portes bien, que tu sois beau et charmant toujours.
Je viens d’apprendre que le comte de MELANO dînait ce soir en bas. Peut-être ne te conviendra-t-il pas de te rencontrer avec lui et d’entendre sa romance favorite. Si tu peux me dire où je pourrai aller te retrouver, je m’empresserai de le faire aussitôt le dîner fini. Si tu n’es pas trop fatigué nous pourrons tenter la visite chez les Yvan. Du reste, mon doux adoré, je ferai absolument ce que tu voudras. Ainsi ne te gêne pas. Je sais que tu vas bien. Je sais que ton Charles n’était pas là quand le déjeuner est arrivé. Tu feras bien de ne pas l’attendre pour manger car les côtelettes perdent toute saveur en refroidissant. Enfin mon petit Toto, sans manquer aux égards paternels que tu dois à ce cher enfant, je te prie de songer un peu à toi et par contrecoup à moi, dont tu es la joie et la vie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 243-244
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1« Ancien maître de conférence à l’École normale supérieure, Émile Deschanel s’était recyclé en ouvrant à la fin de l’hiver un cours hebdomadaire sur les écrivains français dans la grande salle du Cercle artistique et littéraire de Bruxelles, galerie de la Reine. Encouragé par la présence épisodique de Victor Hugo, d’Alexandre Dumas, d’Edgar Quinet, d’Étienne Arago et de Michel de Bourges, il parvenait à réunir des aristocrates belges et des proscrits français. », Jean-Marc Hovasse, Victor Hugo, t. II. Pendant l’exil. 1851-1864, Fayard, 2008, p. 44-45.

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