Paris, 16 juillet 1881, samedi matin, 8 h.
Cher bien-aimé, je ne sais pas si tu as été content de ta nuit, j’en doute ; mais, quant à moi, je l’ai passéea dans un bain d’eau bouillante. Ce petit avant-goût des plaisirs de l’enfer n’a rien qui m’attire de ce côté-là. En attendant, je sue avec patience en pensant que ce qui m’est si désagréable fait ton bonheur et que mon mal fait ta santé.
Il paraît que personne de notre cher groupe de là-haut ne déjeune ni ne dîne avec nous aujourd’hui ni demain. Je le regrette encore plus pour toi que pour moi dont il est la joie et le bonheur, peut-être encore plus que le mien, si c’est possible. Mais il fait cette chaleur torride à laquelle peu de couragesb et de santés résistent. Il va profiter de ces deux jours de vacancesc pour vivre au milieu des bois. Souhaitons-lui bonne chance et résignons-nous à bouilloter à domicile et à être heureux, quand même, en nous aimant de tout l’amour de nos vieux cœurs.
Tu sais que tu as Sénat aujourd’hui pour nommer un sénateur inamovible qui sera, paraît-il, le citoyen Berthelot [1].
Je ne demande pas mieux à la condition que cela se fasse vite pour que tu puissesd revenir tout de suite après et que nous puissions à notre retour aller respirer un peu d’air frais au bois de Boulogne, nous l’avons bien gagné.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16402, f. 159
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette
a) « passé ».
b) « courage ».
c) « vacance ».
d) « puisse ».