Samedi 4 décembre [1841], 11 h. ½ du matin
Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon amour. Comment allez-vous, mes deux petits Toto ? Bien, je l’espère, et dans cette conviction je vous baise tous les deux de tout mon cœur [1]. Ma préface est copiée [2] et ma CORNICHE abattue, ce qui me permet d’ouvrir mes persiennes et par le soleil qui fait ce n’est pas à dédaigner [3]. Le sieur JACQUOT boude dans sa cage et ne veuta pas aller sur son bâton. Cet animal m’en veut des morsures qu’il m’a faites hier, ia ia monsire matame, il est son sarme. C’est CHISTE.
Je vous dirai, non pas à propos de Jacquot et de ses turpitudes, mais à propos de votre préface, que le petit ruisseau de la fin m’a transportéeb d’admiration [4]. Décidément, vous êtes un grand ACADÉMICIEN, ceci soit dit sans vous flatter. Baise-moi, toi, je t’aime mieux que Jacquot et je ne te SANGERAI pas.
J’attends ma péronnelle ce soir [5] mais je vous attends et je vous désire tout de suite. Est-ce que vous ne pourrez pas venir encore aujourd’hui plus tôtc et plus longtemps que tous ces affreux temps derniersd où je vous ai à peine vu deux heures par jour, y compris la nuit, et où je n’avais pas le temps de vous aimer plein ma dent creuse ? C’est que ce régime n’est rien moins que SAIN et je commence à en avoir un bien plus qu’assez. Mon cher petit bien-aimé, je serais si heureuse si je pouvais être avec toi seulement une bonne petite journée entière. Tâche donc auparavant de commencer ta pièce [6] de me donner cette joie, ne me faise pas redoubler cet affreux cap sans m’avoir donné une pauvre petite provision de bonheur FRAIS. Je t’en prie, je t’en prie. En attendant, je te baise et je te désire. Il fait bien beau aujourd’hui et je prendrais bien la clef des champs avec vous. Hélas !
Juliette
BnF, Mss, NAF 16347, f. 175-176
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « veux ».
b) « transporté ».
c) « plutôt ».
d) « dernier ».
e) « fait ».
4 décembre [1841], samedi soir, 9 h.
Il vient de se passer, ou plutôt il s’est passé tantôt une scène des plus sanglantesa entre moi et Jacquot. Figure-toi que ce féroce animal, après avoir bien longtemps hésité à monter sur son bâton, est enfin alléb dessus. À peine a-t-il été près de mon lit qu’il est descendu avec une fureur inouïec se jeter sur mon bras et sur ma figure si je l’avais laissé faire. Je lui ai donné force giffes comme tu le pensesd bien et le résultat, c’est qu’il s’est sauvé à travers la chambre et que Suzanne et moi l’avons fait rentrer dans sa cage où il est depuis comme un être féroce et stupide. Voilà le résultat de ces mamours amorçantes d’il y a deux jours. Décidément, je le renverrai à son auguste maîtresse [7] pour peu que ceci se renouvelle encore une fois. Maintenant, parlons d’autre chose plus intéressante.
Comment va notre petit Toto ? Je ne te vois et je me figure que c’est que ce pauvre petit est plus souffrant. Je voudrais bien te voir, mon Toto, pour savoir au juste ce qui en est. J’ai encore oublié la date d’une reconnaissance à renouvelere qui échoitf demain, dimanche 5 décembre, et qu’il n’est plus temps de renouvelere aujourd’hui. Heureusement que la somme du prêt n’est pas énorme, 48 F., mais c’est encore trop. Je n’ai plus d’argent non plus, il faudra que tu m’en donnes un peu ce soir. Baise-moi en attendant, mon Toto. Pense à moi et viens vite, je suis tourmentée en pensant que ce cher petit garçon peut être plus souffrant aujourd’hui. Dépêche-toi, je t’en prie mon adoré.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16347, f. 177-178
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « sanglante ».
b) « aller ».
c) « inouï ».
d) « pense ».
c) « renouveller ».
d) « échoie ».