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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 octobre [1841], mardi soir, 4 h. ¾

Vous avez bien fait, scélérat, d’emporter votre tas de gribouillis car un jour de plus et vous auriez été forcé de courir après sur les ailes des zéphyrsa [1].
Je vous admire dans votre manière d’arranger votre travail, c’est-à-dire que vous hachez votre temps et vos actions si menus, si menus qu’il est impossible à personne d’en profiter excepté vous, du moins j’aime à le croire. Me voilà donc, grâce à cet aimable système, sans bonne, sans ménage fait et sans Toto. Voime, voime, fort agréable et vous êtes un fameux Cadet. Je vois que ce que j’aurais de mieux à faire ce serait de mourir de mort subite [2], ia ia monsire Dodo.
Quel froid de chien y fait ce soir, pour un rien je ferais faire du feu mais je me retiens dans la crainte de nous porter malheur pour le reste de la saison, toujours à cause de l’espoir, de plus en fantastique, d’un voyage. Le jour où je n’en aurai plus du tout, d’espoir, ça sera gentil, je ne vous conseille pas de vous trouver sous mon désespoir ce jour-là. Tu ne sais pas, mon pauvre ange, que tout en ayant l’air de dire que nous ne ferons pas de voyage cette année-ci, j’y compte cependant d’une manière atroce et que je ne sais pas ce que je ferais s’il m’était prouvé que nous n’en ferons pas. N’est-ce pas, mon amour, que nous nous en irons bientôt et que nous reviendrons dans bien longtemps, bien longtemps ? Le mauvais temps ne fait rien puisque nous irons dans le midi. D’ailleurs, les glaces et les neiges ne m’effrayent pas, pourvu que je sois avec toi, c’est tout ce qu’il me faut. Ainsi dépêche-toi, dépêche-toi, faisb comme moi du schisme sans S plutôt que de retarder une minute notre bonheur [3].
Voici bientôt la nuit, Suzanne ne revient, Suzanne ne revient pas. Je regrette maintenant de l’avoir laisséec aller, mais je ne savais pas ce qui me pendait à l’oreille quand je lui ai permis d’aller voir sa cousine. Une autre fois je me tiendrai sur mes gardes. En attendant, j’ai immensément de nez de carton parce que je n’aime pas que mon ménage ne soit pas fait. Je n’aurai pas non plus beaucoup le temps de copier d’ici à la nuit car la voilà qui arrive à grand pas. Il ne m’aura servi de rien d’avoir pris l’avance sur vous pour ma toilette. Une autre fois je ne me dépêcherai pas et vous vous en irez peut-être plus vite. Laisse-moi bougonner un peu, c’est ma seule consolation. Si je ne bougonnais pas, je serais très malheureuse.
Mon Toto chéri, tout ça veut dire que je t’aime et que je voudrais bien m’en aller une petite goutte avec toi avant cet hiver. Je t’aime mon Toto chéri, je t’aime mon adoré. Tâche de revenir bien vite, pour que je puisse te le dire des lèvres et du cœur en te couvrant de baisers depuis les pieds jusqu’à la tête.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 11-12
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « zéphirs ».
b) « fait ».
c) « laissé ».

Notes

[1Hugo oublie parfois de lire ou d’emporter avec lui les lettres de Juliette. L’avant-veille, elle l’a ainsi menacé de les jeter.

[2Dans la nuit du dimanche au lundi un voisin de Juliette est mort de mort subite.

[3Depuis 1834, Hugo et Juliette ont pris l’habitude d’effectuer un voyage de quelques semaines ou mois pendant l’été et le printemps, mais malheureusement, en 1841, le poète est trop occupé par la rédaction monumentale du Rhin et leur voyage annuel n’aura pas lieu.

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