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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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2 octobre [1841], samedi après-midi, 1 h. ¼

Je regrette, mon amour, que l’arrivée de la péronnelle t’aita chassé si tôt de la maison. Je ne le lui pardonnerais pas si je n’avais l’espoir de passer la soirée côté à côte de toi, n’importe où. Pourvu que je sois avec toi, peu m’importentb le lieu et l’heure.
Il fait un temps très maussade, ce qui ne vous a pas empêché de mettre votre beau pantalon neuf et votre belle cravatec. Je ne sais pourquoi je vous crois de frairie ce soir, soit aux [Roches ? [1] ], soit à Paris ; ce serait bien atroce si cela était et vous mériteriez toutes les vengeances et toutes les exécrations. Malheureusement, votre caractère et votre conduite habituels ne démentent pas de si tristes prévisions, je crois plus que jamais que vous me ferez quelque fugue ce soir. Toto prenez garde à vos yeux, Toto prenez garde à vos cheveux, Toto prenez garde à…..d VOUS. Je vous réponds que je ne laisserai pas ce nouveau FORFAIT impuni comme tous les autres.
Pourquoi ne m’avez-vous pas donné à copier ? Les péronnelles [2] ne m’auraient pas empêchéee d’écrire et de travailler, au contraire, et pendant qu’elles auraient jaboté j’aurais copié avec fureur. Vous êtes une bête, taisez-vous et craignez ma fureur. Quel temps, quel temps, mon Dieu. Encore, si nous étions à Tullingen ce serait bien [3], mais rue Sainte-Anastase c’est odieux [4]. Quel affreux hiver, quel hideux printemps, quel effroyable été et quel atroce automne j’aurai passésf cette année. D’y penser, j’en ai la chair de poule. Si je savais en passer d’autres pareils, je m’enfuiraisg à l’autre bout du monde. Quel bonheur !!! Voime, voime, il faut le dire vite et pas souvent pour ne pas mentir comme un arracheur de dents.
Avec ça, il fait un froid de chien et je suis très vexée de m’être mise à la légère. Pour un rien je me déshabillerais et je me mettrais une robe d’hiver. Décidément, je ne suis pas très gaillarde ni très joviale ce tantôt, il ne faudra rien moins que la vue de votre museau pour me faire sourire et pour me réchauffer un peu. Toto, Toto, ne soyez pas en godailleries ce soir ou je vous tue. Vous voilà bien averti maintenant, c’est à vous de voir si vous m’aimez et si vous voulez que je vous adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 3-4
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « t’ai ».
b) « m’importe ».
c) « cravatte ».
d) Il y a cinq points de suspension.
e) « empêché ».
f) « passé ».
g) « m’enfuierais ».

Notes

[1Peut-être le Château des Roches. Il appartenait à Bertin l’Aîné, très grand ami de Hugo qui vient tout juste de disparaître, le 14 septembre. Le poète avait coutume d’y passer ses vacances.

[2Les amies de Juliette viennent en général lui rendre visite le week-end, surtout le dimanche soir.

[3De fin août à début novembre 1840, Juliette et Hugo ont effectué un voyage sur les bords du Rhin et dans la vallée du Neckar.

[4Juliette vit encore en 1841 au 14 rue Sainte-Anastase.

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