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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 septembre [1841], lundi après-midi, 1 h. ½

Je suis donc bien méchante, bien maussade et bien insupportable, mon Toto, et vous ne pouvez plus m’aimer ? Vous ne vous rendez pas compte que les trois quarts et demia et demi quart de ma méchanceté ne sontb qu’une manière de vous caresser et que les rares et courts accès de véritables grogneries n’arrivent qu’à la faute de vos incessantes taquineries. Vous ressemblez beaucoup aux enfants hargneux qui tirent les oreilles et la queue du chien et qui se fâchent si la pauvre bête ahuriec jette un petit aboiement inoffensifd. Vous êtes un méchant homme, voilà tout et moi un pauvre petit mouton BLEU. Je vous promets à l’avenir d’être comme un cornet de mélasse d’un soir.
Voici encore les RECENSEURS, que le diable les emporte. J’ai bien envie de mettre à exécution les conseils du Corsaire et de les recevoir à grand coup de manche à balai [1]. On ne peut pas être un instant chez soi tranquille, voilà au moins la troisième fois en deux mois que ces Ostrogoths entrent chez moi sous des prétextes absurdes et VEXATOIRES [2].
Où alliez-vous, mon Toto, si vite et si tôt tout à l’heure que vous ne me donniez pas même le temps de vous embrasser ? J’ai fort envie de croire que c’était à un rendez-vous de PHAUME, et de partir d’ici pour aller là où vous êtes, vous donner une pile voltaïque premier no. Je ne dis pas non et je vais aviser à cela. M. Toto au CABINET DE LECTURE.
[Dessine]
Ia ia monsire, vort rezemplant [3]. Baisez-moi, cher petit porc, et ne soyez pas longtemps à m’apporter mes deux pots [4]. Je vous aime, qu’on vous dit.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 219-220
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « demie ».
b) « n’est ».
c) « hahurie ».
d) « innofensif ».
e) Dessin de Hugo lisant (13 Messager [5]  ?).

© Bibliothèque Nationale de France

Notes

[1Le Corsaire est un quotidien français paru à Paris entre 1823 et 1858. De 1844 à 1847, il a fusionné avec le Satan de Petrus Borel pour devenir Le Corsaire-Satan. Il se fait manifestement l’écho des troubles qui ébranlent actuellement la capitale et la France. En effet, le mois de septembre 1841 est très agité (Juliette parlera même d’« émeutes » le lendemain), en raison de la violente résistance au recensement Humann. Dans un contexte d’opposition des communautés locales à l’État concernant le montant des prélèvements fiscaux et les modalités de leur perception, Jean-Jacques Humann, député du Bas-Rhin, devient au mois d’août 1840 ministre des Finances du gouvernement que dirige le maréchal Soult. Les finances publiques accusent un important déficit et pour le combler, Humann décide, dans une circulaire adressée aux préfets le 25 février 1841, un recensement général des habitations, par les agents du fisc assistés des maires, pour assujettir à l’impôt les constructions récentes qui y échappent. Ces mesures jugées contraires aux libertés municipales provoquent des réactions très hostiles de la part des adversaires du régime et de la presse d’opposition qui dénonce tout autant l’inquisition fiscale que l’exploitation du peuple (François Ploux, « Jean-Claude Caron, L’Été rouge. Chronique de la révolte populaire en France (1841) », Revue d’histoire du XIXe siècle, 2002, p. 210-213).

[2Le recenseur est déjà venu le 4 mai, au grand dam de Juliette.

[3Juliette imite l’accent allemand.

[4La veille au soir, Juliette a réclamé un « pot à goulot » et un « vase à anse » qu’elle a dessinés. Pour être sûre de les avoir, elle a menacé Hugo d’aller les chercher elle-même.

[5Le Messager des Chambres, quotidien, fut publié de février 1828 jusqu’en 1846. Il changea à plusieurs reprises de titre et de propriétaire. Le comte Waleswski l’acheta à l’imprimeur Boulé en avril 1838 pour en faire un organe d’opposition, Le Messager, Journal des principes constitutionnels, qui soutenait les idées d’Adolphe Thiers. En 1840, Thiers redevenant ministre, le journal fut racheté par le gouvernement (Nerval journaliste, 1826-1851, Michel Brix, Études nervaliennes et romantiques, Presses Universitaires de Namur, 1989, p. 192).

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