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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 juillet [1841], lundi midi ¼

Bonjour mon cher amour, bonjour le bien-aimé de mon cœur. Bonjour toi, bonjour vous. Je t’écris tard, mon adoré, parce que j’ai voulu faire toutes les ennuyeusesa choses de la matinée avant de t’écrire. J’y ai été entraînée par cette hideuse friction que je suis obligée de me faire en sortant du lit. Du reste je n’ai plus de sirop et je ne m’en réjouis pas parce qu’il faudra trouver encore de l’argent pour ça [1]. Je n’ai plus de vin non plus et depuis longtemps je n’ai plus d’épicerie. Aujourd’hui c’est la blanchisseuse et si tu ne viens pas d’ici à tantôt je ne pourrai pas la payer. Pauvre bien-aimé adoré, rien ne m’est plus pénible que de te parler de tout ça, j’aimerais bien mieux m’en passer que de te harceler continuellement de mes besoins. Il faut toute mon obéissance et tout mon respect pour tes volontés pour le faire.
Mon bon bien-aimé, que je te remercie des paroles pleines de cœur et de loyauté que tu as ditesb hier à la mère Lanvin ! Je t’en remercie du fond dec l’âme. Mon Toto bien-aimé, si l’amour le plus vrai, le plus fidèle et le plus dévoué mérite quelque estime, je suis la femme du monde qui en mérite le plus car jamais homme n’a été aimé avec plus de passion, d’admiration et de respect que toi par moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 85-86
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette


a) « ennuieuses ».
b) « dit ».
c) « du ».


26 juillet [1841], lundi après-midi, 4 h. ½

J’ai copié jusqu’à présent, mon amour, et je m’arrête au suaire de soie verte du vieillard mage [2]. Je reprendrai tout à l’heure dès que je t’aurai écrit et que je me serai coiffée car je suis toute ébouriffée. Je continuerai d’arrache-pied jusqu’à ce que j’aie fini parce que je veux pouvoir t’en demander d’autre ce soir. C’est une besogne dont je ne me lasse pas et pour laquelle j’oublierais tout, excepté le besoin de te voir et de baiser ta belle bouche rose qui sent si bon.
Jour Toto, jour mon cher petit o. Je suis toute grimaude à cause de ce que tu sais. Peut-être est-ce mauvais que la médecine me fasse devancer de huit jours l’époque ordinaire de cette stupide chose ? Je ne sais mais dans tous les cas je souffre et c’est fort ennuyeuxa. Il ne faut pas néanmoins que cela vous empêche de venir, j’exige même que vous veniez encore plus pour me prouver que vous m’aimez à pied et à cheval, comme il convient à un jeune vaillant comme vous [3].
J’attends ma fille tout à l’heure et je veux me dépêcher de me donner un léger coup de peigne car je suis à faire peur à Asmodée [4] lui-même. Jour Toto, jour mon cher petit o. Donne ta chère petite patte blanche que je la baise, tâche de venir bien vite. Je t’aime, mon Toto bien-aimé, je t’aime plus que de toutes mes forces, de tout mon cœur et de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 87-88
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « ennuieux ».

Notes

[1Juliette souffre souvent de maux de ventre ou de tête violents et a donc commencé au mois d’avril un traitement lourd, prescrit par le docteur Triger, qui va durer plusieurs mois (voir la lettre du 21 avril).

[2Hugo est en pleine rédaction de la lettre XXI du Rhin, « Légende du beau Pécopin et de la belle Bauldour », conte en dix-neuf chapitres, dont Juliette parle ici. L’extrait mentionné se trouve dans la partie VII, « Propositions amiables d’un vieux savant retiré dans une cabane de feuillage ».

[3Juliette fait allusion à ses règles, moment toujours très douloureux pour elle, et elle utilise comme toujours une métaphore, très souvent militaire, pour aborder le sujet. Et tous les mois, à cette période, elle reproche à Hugo soit d’en profiter pour ne pas venir la voir, soit justement de ne venir qu’à ce moment-là, et elle déplore alors un manque d’entrain et de « volupté » du poète en ce qui concerne d’éventuelles relations intimes qu’elle réclame pourtant.

[4Référence au nom du diable dans la « Légende du beau Pécopin et de la belle Bauldour », chapitre VI, « Où l’on voit que le diable lui-même a tort d’être gourmand ».

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