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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 mai 1841

19 mai [1841], mercredi matin, 11 h.

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour Picardet [1], bonjour le plus HEUREUX des hommes. Je vous permets la séduction de Mme Picardet [2] à la condition de savoir TOUT, ia, ia ou sinon non, je retire ma permission. En attendant prenez garde de vous renrhumer aujourd’hui car il fait beaucoup de vent et qu’il est très froid.
Je voudrais savoir quand je copierai enfin ce fameux discours [3] ? J’espère que vous n’aurez pas l’injustice de le faire copier par Mlle  Didine [4] ? Je ne vous le pardonnerais pas, ni à elle non plus la petit sorcière. Tâchez donc de me l’apporter tout de suite afin que je vous le COPIRE de ma plus belle écriture. En attendant je me FLUCTIONNE, ce qui m’embête au superlatif. Je ne sais pas ce que je n’aimerais pas mieux que ça. Me voici encore une fois sans sirop, nouveau plaisir, ce traitement n’est pas seulement embêtant, il est ruineux [5]. Quant à moi je regrette beaucoup ma peau de léopard et toutes les peaux de lapins blancs de la création ne me tenteraient pas à ce prix-là [6]. Je t’aime mon Victor bien-aimé, je t’adore mon petit homme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 163-164
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette


19 mai [1841], mercredi après-midi, 2 h. ½

À peine avais-tu tourné le coin de ma rue [7], mon adoré, que le facteur apportait deux lettres pour moi, une de ma fille, l’autre de Mme Krafft. Je n’ai décacheté que la première parce que je suis un être très bien dressé qui ne se permet pas la plus petite infraction à la consigne, pas même celle que mon postier se permet de faire tous les jours sur toutes les lettres des locataires de la maison.
Je suis plus naïve [plusieurs mots illisibles] plus consciencieuse que [plusieurs mots illisibles], je laisse tranquillement la lettre sur la table sans lui regarder sous la jupe. Tiens, voici Résisieux, sa bonne et son frère [8] qui viennent m’apporter mon chapeau de chez la marchande de modes [9]. Il n’est pas joli mais au moins il n’est plus hideux, c’est tout ce qu’il me faut. Maintenant il nous reste à le payer, ce qui n’est ni le plus agréable ni le plus facile, ia, ia monsire matame.
Jour Toto, jour Picardet. Je suis toujours pour ce que j’en ai dit : vous allez lire votre discours chez les péronnelles du défunta [10]. Ne mentez pas et revenez tout de suite me dire la vérité. Je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 165-166
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « défun ».

Notes

[1Juliette s’inspire sans doute de Voltaire qui, dans ses lettres de septembre 1761 à son ami M. Le comte d’Argental, mentionne un académicien typique de Dijon qui porte ce nom (deux frères en réalité) qu’il tourne en ridicule en l’empruntant (avant de le transformer en Picardin) pour signer l’une de ses comédies, L’Écueil du sage, ou Le droit du seigneur. Remerciements à Jean-Marc Hovasse qui a identifié pour nous cette référence.

[2Juliette désigne peut-être l’Académie.

[3Victor Hugo a été élu le 7 janvier 1841 à l’Académie française et sa grande cérémonie de réception, à l’occasion de laquelle il doit prononcer un discours, est prévue pour le 3 juin 1841. Il en a lu la première partie à Juliette dans la nuit du 11 avril, et elle en a consulté elle-même la seconde, sans sa permission, le 14 mai.

[4Juliette est souvent en concurrence avec Léopoldine Hugo pour la copie des œuvres du poète.

[5Juliette souffre souvent de maux de ventre ou de tête violents et vient donc de commencer un traitement, prescrit par le docteur Triger, qui va durer plusieurs mois. Elle précise ses recommandations le 21 avril.

[6Le 7 mai au matin, Juliette commentait déjà avec humour ces marques de peau qui, disait-elle, la faisaient ressembler à une panthère digne d’« exercer la verve du célèbre Auguis et [cela lui] donnait le droit de [s]e faire empailler dans un temps quelconque ».

[7Il ne s’agit pas simplement d’une façon de parler : Juliette observe vraiment Hugo jusqu’à ce qu’il ait tourné le coin de la rue, en général pour vérifier qu’il aille bien dans la bonne direction.

[9Début avril, Juliette a fait faire un chapeau pour Claire et en a demandé un autre pour elle début mai, afin de remplacer son ancien de velours. Malheureusement la marchande de modes, Mlle Paquement, lui a répondu « qu’il était impossible de se procurer un chapeau de paille d’Italie commun teint en noir avant l’automne prochain et que [s]on vieux n’était plus décemment arrangeable. » C’est ainsi que, début mai, elle lui a repassé commande et finalement, Juliette le renverra le 30 mai pour faire rajouter des brides.

[10Victor Hugo a été élu à l’Académie française le 7 janvier 1841, au fauteuil no 14 précédemment occupé par le défunt Népomucène Lemercier. À l’occasion de son discours de réception prévue pour le 3 juin, que le poète vient de terminer, l’usage veut qu’un nouvel académicien fasse l’éloge du précédent. Or, le 28 avril 1841, Hugo a envoyé la lettre suivante à la fille du défunt : « À Mademoiselle Lemercier, / La séance, Mademoiselle, n’aura lieu qu’à la fin de mai. D’ici là je me mettrai à votre disposition et à celle de madame votre mère pour vous lire ce discours puisque vous désirez l’entendre. / Croyez, ainsi que madame votre mère, à ma profonde et respectueuse sympathie. / VICTOR HUGO. / Ma femme et ma fille sont bien heureuses de vos amicales et gracieuses paroles » (Victor Hugo, Œuvres complètes, Correspondance, t. IV, Paris, Imprimerie nationale, p. 176).

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