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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 mai 1841

18 mai [1841], mardi matin, 8 h. ¾

Bonjour cher bien-aimé, bonjour Picardet [1], bonjour vieux fat, bonjour URSULE [2]. Tu es toujours LAID mais GRÂCIEUX [3]. Tant que tu seras comme ça je serai folle de toi, ainsi tu n’as qu’à persévérer dans ce système d’effroyable laideur et de grâces séduisantes pour me tenir à tout jamais ATTACHÉE À TON CHAR à banc. Ia, ia monsire Bigartet.
Avec tout ça je n’ai pas dormi trois heures cette nuit. Ce matin j’étais levée à cinq heures et demie. Il est vrai que je me suis recouchée après avoir fait une visite à mon ROSIER et avoir bu ma tisanea mais j’ai eu beau faire, il m’a été impossible de me rendormir. Enfin voilà une heure que je suis relevée, je me suis FLUCTIONNÉE [4] et voilà que je vous écris pour vous dire que vous êtes un monstre charmant que j’aime et que j’adore. Baisez-moi vieux scélérat et aimez-moi, je vous l’ordonne.
J’espère que vous continuerez à m’apporter le bulletin de santé de Mme Picardet [5], je tiens beaucoup à savoir tout ce qui vous intéresse, ia, ia. Pôlisson, prends garde de le perdre.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 159-160
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « tisanne ».


18 mai [1841], mardi soir, 6 h. ½

Je vous ai bien attendu et bien aimé toute la journée, mon adoré, et vous n’êtes pas venu. Je persévère à vous attendre encore plus et à vous aimer comme toujours dans l’espoir que cela vous fera venir. Hélas ! vous êtes venu mais si peu que je n’ai pas eu beaucoup le temps de triompher. Je vais recommencer le même travail pour voir si vous aurez le même instinct de cœur et si vous reviendrez auprès de votre pauvre Juju. Mais je vous préviens que je ne vous laisserai pas ressortir de sitôt, je m’accrocherai à vos zardes et je me ferai traîner par vous jusqu’au diable au vert [6] plutôt que de vous lâcher.
Je suis ravie de la remise de votre RÉCEPTION [7]. J’avais une peur de chien d’être obligée de me transvaser du Marais à Passy, de Passy à l’Institut et de l’Institut au Marais, tout cela dans le même moment, mais grâce à Dieu et aux académiciens j’en suis quitte pour la peur. Mais je ne serai tranquille que lorsque la réception sera passée car d’ici là je prévois un tas de contrariétés hideuses dont la moindre me fait dresser les cheveux. Je vous aime Toto, tâchez de revenir bien vite mon Toto.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 161-162
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Juliette s’inspire sans doute de Voltaire qui, dans ses lettres de septembre 1761 à son ami M. Le comte d’Argental, mentionne un académicien typique de Dijon qui porte ce nom (deux frères en réalité) qu’il tourne en ridicule en l’empruntant (avant de le transformer en Picardin) pour signer l’une de ses comédies, L’Écueil du sage, ou Le droit du seigneur. Remerciements à Jean-Marc Hovasse qui a identifié pour nous cette référence.

[2À élucider.

[3La veille, Juliette a déjà fait la même plaisanterie.

[4Juliette souffre souvent de maux de ventre ou de tête violents et vient donc de commencer un traitement, prescrit par le docteur Triger, qui va durer plusieurs mois. Elle précise ses recommandations le 21 avril.

[5Juliette désigne peut-être l’Académie.

[6Erreur de la part de Juliette, plutôt commune en langage populaire. L’expression juste est « aller au diable vauvert », qui signifie on ne sait où, fort loin. (Littré)

[7Victor Hugo a été élu le 7 janvier 1841 à l’Académie française et sa grande cérémonie de réception, à l’occasion de laquelle il doit prononcer un discours, est prévue pour le 3 juin 1841, ainsi qu’il le précise lui-même le 21 mai 1841 dans une lettre à M. Charles de Lacretelle, un de ses amis : « Je pense que je serai reçu à l’Académie le 3 juin » (Victor Hugo, Correspondance 1836-1882, Paris, Calmann-Lévy, 1898, p. 40). Cette séance est publique et Juliette y est conviée.

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