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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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15 juin 1841

15 juin [1841], mardi après-midi, 2 h. ½

Je me suis aperçuea au moment de t’écrire, mon cher bien-aimé, que je n’avais pas de papier. Force m’a été d’attendre que Suzanne soit revenue d’en chercher.
Quelle charmante surprise tu m’as faiteb hier, mon Toto, j’aurais été morte depuis trois jours que je crois qu’elle m’aurait ressuscitéec. Être avec toi, voir le ciel et le soleil avec toi, respirer l’air avec toi, vivre avec toi, c’est un bonheur dont je ne me rassasie jamais et pour lequel je donnerais ma vie toute entière pour un jour tout entier comme les quelques heures d’hier et de ce matin. Je t’aime, mon beau Toto, je t’adore, mon noble et généreux homme, je t’aime, je t’aime.
Vous avez encore tourné le mauvais coin, scélérat, où alliez-vous par là [1] ? Chez Mme Picardet je suis sûre [2]. Toto, Toto, vous êtes un affreux misérable à qui je donnerai plus de coups que de morceaux de sucre, soyez sûr de ça et tâchez de ne pas me faire sortir de mon caractère naturellement DOUX ET TIMIDE. Ia, ia monsire matame , la PAIONNETTE AU QUI [3]. Baisez-moi, vilain monstre, et taisez-vous car vous m’exaspérez à la fin.
Je voudrais bien savoir pourquoi vous n’avez pas voulu que je réponde tout de suite à la pauvre Fifine [4] que vous preniez en considération sa recommandation touchant son coiffeur savant ? Il me semble qu’il eût été plus logique de répondre tout de suite afin de faire plaisir à ce frisae érudit et peut-être rendre un service à la mère Krafft qui a peut-être besoin de son adhésion au CONCORDAT [5]. Enfin vous savez ce que vous faites, ce que vous faites est bien et je ne suis que votre très humble et très obéissante esclave en ceci comme en tout. Baisez-moi bien vite PȎLISSON.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 255-256
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « apperçu ».
b) « fait ».
c) « resçussitée ».

Notes

[1Lorsqu’il la quitte, Juliette observe systématiquement Hugo jusqu’à ce qu’il ait tourné le coin de la rue, en général pour vérifier qu’il aille bien dans la bonne direction. Et justement, cela fait plusieurs jours que le poète prend un chemin inhabituel, ce qui attise sa jalousie.

[2Juliette s’inspire sans doute de Voltaire qui, dans ses lettres de septembre 1761 à son ami M. le Comte d’Argental, mentionne un académicien typique de Dijon qui porte ce nom (deux frères en réalité) qu’il tourne en ridicule en l’empruntant (avant de le transformer en Picardin) pour signer l’une de ses comédies, L’Écueil du sage, ou Le droit du seigneur. Remerciements à Jean-Marc Hovasse qui a identifié pour nous cette référence.

[3Cette remarque qui signifie « la baïonnette au cul » est un rappel, que Juliette fait à plusieurs reprises, des déroutes d’Auerstaedt et d’Iéna en 1806 où les Prussiens, paniqués, ont abandonné précipitamment leur position face aux Français commandés par Napoléon. Cet épisode est à l’origine de l’emploi du mot familier « le prussien » pour désigner le derrière. En 1825, d’ailleurs, est publié un Guide du Prussien ou Manuel de l’artilleur sournois, à l’usage des personnes constipées, des personnes graves et austères, des dames romantiques, et de tous ceux qui sont esclaves du préjugé.

[4Pourrait-il s’agir de Laure Krafft, que Juliette surnommerait ainsi ponctuellement pour une raison inconnue ?

[5À élucider.

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