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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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2 juillet [1841], vendredi matin, 11 h. ¾

Bonjour mon bien-aimé, bonjour mon bon petit homme. Bonjour, je baise tes chers petits pieds. Comment vas-tu, mon sublime bien-aimé ? Comment m’aimes-tu, mon divin Toto ? Voici ma pauvre Claire partie. La séparation devient chaque fois plus triste pour elle, la pauvre enfant, je pourrais dire aussi pour moi si je ne m’étais pas imposé de cacher mes impressions à ce sujet. Il est inutile que je témoigne à cette pauvre enfant des regrets qui ne s’éteindront jamais puisque jamais nous ne pourrons nous réunir, mais Dieu sait ce que je sens [1]. Je t’aime mon Toto, je t’aime mon Victor.
Il fait toujours bien froid et bien noir, c’est désespérant car voici les plus longs et les plus beaux jours passés sans aucun profit. Il est vrai que pour moi la belle saison c’est celle où je suis le plus longtemps avec toi et je crains bien que mon bonheur soit absorbé dans une Saint-Médarda d’occupations de toutes sortes comme le soleil du bon Dieu l’a été par celle du calendrier [2]. Enfin, mon adoré, tout ce que je peux te dire c’est que je t’aime, que je ne vis qu’en toi et par toi et pour toi. Tâche de venir bien vite.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 5-6
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « St Médar ».


2 juillet [1841], vendredi après-midi, 1 h. ½

Je prévois encore une journée bien triste, mon adoré, car tu ne viendras pas encore aujourd’hui ou si peu que cela ne sert qu’à me faire sentir davantage le vide de ton absence. J’ai beau me raisonner et beau faire, je ne peux pas m’habituer à vivre sans toi. Je t’aime avec la déraison, l’impatience et la passion du premier jour. Chaque minute me semble un siècle, il me semble que mon âme brûle à blanc dans moi et qu’elle me dévore. Enfin je donnerais tous les jours qui me restent à vivre pour chacune des secondes qui me rapprocheraient de toi. Je t’aime mon amour, je t’aime mon adoré, comme jamais homme ne fut aimé. Je t’aime passionnément comme le plus charmant et le plus admirable des hommes, saintement et divinement comme le bon Dieu dont tu as la douceur et la majesté. Pardonne-moi tout ce que le délire me fait dire pêle-mêle, sans suite et sans ordre. Je t’aime tant que j’en ai la fièvre. Quand te verrai-je, mon amour ? Tâche que ce soit bientôt, si tu savais comme j’ai besoin de toi pour vivre, tu franchirais tous les obstacles pour venir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 7-8
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Cela fait déjà quelque temps que Juliette s’inquiète pour sa fille. Depuis 1839, cloîtrée dans son appartement sans ressources propres, elle ne peut envisager de la garder auprès d’elle. Quant à Hugo, il ne peut s’investir davantage et elle ne peut compter sur son véritable père, James Pradier, qui ne joue pas son rôle. Juliette réfléchit donc au moyen le plus avantageux, ou en tout cas le moins désagréable, pour assurer l’avenir de Claire et en faire une femme honnête : trouver un emploi dans son pensionnat de Saint-Mandé. L’adolescente y deviendra sous-maîtresse.

[2On fête Médard de Noyon ou saint Médard, évêque picard du VIe siècle, le 8 juin, mais, selon la légende, son nom est associé à de nombreuses expressions faisant référence à la pluie comme : « Quand il pleut pour la Saint Médard, il pleut quarante jours plus tard ». Juliette en parle quasiment tous les ans à la même date en associant la morosité du temps à son état psychologique.

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