29 octobre [1837], dimanche matin, 10 h. ¼
Bonjour toi, mon Toto bien aimé. Je ne suis pas encore dans mon bain et ce n’est pas sans frémir que je pense à l’intervalle qui sépare mon déjeuner de mon estomac. Car depuis hier, tu le sais, je crève de faim. Il est bien possible que je fasse la gouillafre et que je mange dans mon bain. J’espère que ce n’est pas lui qui t’a empêché de venir cette nuit. Tu n’es pas Joseph à ce point-là [1] ? Pauvre petit Toto. Si tu as travaillé cette nuit tu auras eu bien froid car ce matin encore, malgré le mince rayon de soleil qui revient à ma croisée, j’ai un froid de loup. C’est à présent surtout que je regrette de ne pouvoir pas te faire la surprise en question, une bonne robe de chambre et son pantalon en bonne étoffe de laine bien chaude. Mais nous sommes pauvres comme Job. Je ne me plains pas car je sens bien qu’après tout nous sommes les plus heureux gens de la terre. Nous nous aimons si bien. Jour mon cher petit homme. Jour on jour. À bientôt.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 325-326
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
29 octobre [1837], dimanche soir, 5 h. ½
Pauvre bien-aimé. Je ne peux pas te dire à quel point je suis triste en voyant ce qui se passe autour de toi. C’est si déloyal et si étrange qu’on en est tout stupéfait. Ce ne serait rien si je ne sentais pas que c’est ta santé et tes yeux qui pâtiront de tout cela. Et ta santé et tes yeux c’est mon bonheur et ma joie. Je voudrais presque qu’on te refusât les registres à la Comédie-Française pour avoir le plaisir de t’épargner un travail fastidieux [2]. Tu peux être sûr du soin et de l’attention que j’apporterai dans ce travail si besoin était. Tes affaires me tiennent plus à cœur que les miennes propres, je t’assure. Te voilà parti, mon pauvre petit homme, peut-être pour toute la soirée et je ne t’en voudrai pas parce que je sais que tu es accablé de souci et de travail.
Si je pouvais prendre autant de part de ce dernier que j’en prends du premier, tu serais moins fatigué et moi plus soulagée, car je souffre de te savoir sans repos et sans tranquillité.
Soir mon To, soir mon petit o. Je lis les journaux. C’est pas toujours amusant et j’aime mieux penser à toi et t’écrire. Je t’aime mon Victor adoré. Je t’aime. C’est t’adorer que je veux dire car je t’aime à genoux comme un vrai bon Dieu que tu es. Je baise tes petits pieds.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 327-328
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein