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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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22 octobre [1837], dimanche après-midi, 2 h. ½

Je ne me fais pas illusion, mon cher petit homme. Vous voilà parti pour toute la journée et pour toute la soirée [1]. En supposant que vous veniez m’apporter les journaux, c’est tout ce que je peux espérer de plus heureux dans cette journée. Si vous aviez un bon cœur, vous m’auriez laissé comme dédommagement les vers sur nos anciennes promenades [2] à lire et à copire. Je me serais transportée avec plus de joie dans nos chers souvenirs, tandis qu’à moi toute seule je me promène tristement dans nos rendez-vous aussi découragée que lorsque vous ne veniez pas me rejoindre, absolument comme aujourd’hui. Pourquoi donc ne m’emmenez-vous pas comme autrefois ? Je vous aurais accompagné jusqu’à la porte des B [3]. et je serais revenue coucher à Versailles. Vous êtes bien changé, mon petit Toto, pour tous ces petits détailsa de notre ancienne vie. Maintenant vous aimez mieux les tête-à-tête avec ARMAND [4] et les coussins élastiques de sa calèche que le tête-à-tête avec votre Juju dans un coupé de gondole peu ou pas suspendu [5]. Je remarque ces divers changements et je m’en afflige. Plus tard, la manie d’imitation et le besoin d’être en tout pareille à vous me feront faire les mêmes progrès que vous et alors nous serons parfaitement heureux, n’est-ce pas ? En attendant vous l’êtes tout seul, à votre manière. Moi je vous aime de toute mon âme et je regrette notre bon vieux temps.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 299-300
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
[Souchon]

a) Après ce mot, Souchon a inséré par erreur la fin de la lettre précédente. Dans son édition, on trouve donc la suite de la lettre actuelle éditée par une erreur d’inversion dans la lettre de la veille.


22 octobre [1837], dimanche soir, 6 h.

Vous n’êtes pas revenu m’apporter les journaux, mon cher petit homme, et voilà que je crois que cet incident prouve que vous êtes à Paris et que vous viendrez souper avec moi. Ce serait d’autant plus charmant que je suis entièrement seule. Mme Pierceau, en m’envoyant ma robe par la bonne, m’a fait dire qu’elle ne viendrait pas ce soir. J’en serais plus contente que fâchée si tu dois venir ce soir mais… malgré les efforts que je fais pour espérer, je désespère. J’ai cependant mis ma belle robe rouge. Il ne tiendrait qu’à moi d’aller au bal si je voulais. Mais je ne le veux pas. Quand vous êtes loin de moi, je n’ai pas le cœur à la danse, encore moins à la plaisanterie. Je suis NOIRE comme de l’encre. Je suis un vrai hibou au moral et au physique. C’est ce qui fait que je vous aime de toutes mes forces. Je me rejette là-dessus pour ne pas mourir de chagrin et d’ennui. Autant je suis heureuse et gaie avec vous, mon petit homme, autant je suis malheureuse et démoralisée loin de vous.
Si par hasard vous étiez parti aux Roches sans être venu me voir auparavant [6], convenez que vous seriez un grand scélérat digne de tous les supplicesa. Si au contraire vous êtes resté à Paris, vous êtes un charmant petit homme bien adoré et digne de tous les bons sentiments avec lesquels je vous attends. Je t’aime mon adoré. Mon Toto chéri je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 301-302
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « suplices ».

Notes

[1La famille Hugo séjournera aux Roches du 22 au 27 octobre.

[2La veille, Hugo a achevé le poème « Tristesse d’Olympio ».

[3Les Bertin ont une propriété aux Roches où Juliette rêve de retourner après ses séjours auprès de Hugo en 1834 et 1835.

[4Il s’agit d’Armand Bertin, fils de Louis-François Bertin.

[5Au XIXe siècle, les diligences qui assurent les liaisons entre Paris et sa périphérie sont appelées « gondoles ». Elles n’ont ni ressort, ni suspension.

[6Cette année-là, la famille Hugo séjourne aux Roches du 22 au 27 octobre.

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