8 décembre 1863

Guernesey, 8 décembre [18]63, mardi matin, 8 h. ½

Bonjour, cher bien-aimé, bonjour, mon adoré petit homme, que Dieu te préserve de tout mal et de tout chagrin. Je t’aime. Tu as ouvert ta fenêtre moins tôt que d’habitude ce matin, est-ce que tu as encore mal dormi ? Est-ce que tu vas prendre, toi aussi, le mauvais tic de l’insomnie ? « Pour un homme d’esprit vraiment vous m’étonnez [1]. » C’est bon pour ceux qui n’ont rien de mieux à faire et je suis du nombre. Je me suis couchée avec le mal de tête, j’ai dormaillé avec le mal de tête, je me suis levée avec le mal de tête et je viens de prendre un bain de pieds^b qui m’a mis les pieds à la ravigotte^a ; depuis je les tiens sur une pierre chaude sans pouvoir jusqu’à présent obtenir un répit de ce stupide mal de tête. J’espère que mon charmant RENDEZ-VOUS avec votre gentil GARÇON tantôt dans mon jardin fera une heureuse diversion à ma migraine. En attendant, je voudrais être sûre que tu as bien dormi toute la nuit. Je crains que l’agitation de ce pauvre Kesler n’ait passé^c jusqu’à toi. Cela serait d’autant plus malheureux que son état d’amoureux et de prétendu [empire  ?] de jour en jour. Hier il en était presque effrayant. Je voudrais, pour le bien que je souhaite à ce malheureux homme, que toute cette lamentable flirtation n’ait jamais eu lieu car, marié ou non marié, cette aventure sera une catastrophe pour lui dans le présent et dans l’avenir, du moins j’en ai peur. Tout cela, mon doux adoré, redouble mon amour et ma tendresse pour toi et je t’admire et je te vénère de toute mon âme.

BnF, Mss, NAF 16384, f. 276
Transcription de Gérard Pouchain

a) « ravigotte ».
b) « pied ».
c) « passée ».