Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1849 > Mai > 25

25 mai 1849

25 mai [1849], vendredi matin, 8 h.

Bonjour, mon tout bien-aimé, bonjour, mon adoré petit homme, bonjour comment vas-tu ? Je suis rentrée chez moi hier à neuf heures dans l’espoir de te voir, mais je n’ai pas eu cette heureuse chance. J’espère que cette absence ne veut pas dire rien de mauvais pour toi ni pour le pays, mais tout bonnement paresse et insouciance de mon bonheur personnel. C’est comme cela que je l’interprète jusqu’à ce moment, ce qui ne me rend pas plus gaie mais ne me tourmente pas. Nous t’avons attendu hier chez la mère Sauvageot jusqu’à 4 h. ¼, puis voyant que tu ne venais pas nous sommes revenus à la maison en flânant. Je me suis déshabillée et je suis allée dîner chez Eugénie. À peine ai-je eu accepté cette invitation que j’en ai eu du regret, parce que j’ai senti que c’était me priver d’une chance de te voir. Aussi je me suis peu amusée tout le temps que j’y suis restée. Aujourd’hui je n’aurai par cette préoccupation et ce regret, nous verrons si j’aurai meilleure chance. Cher adoré, j’ai le cœur plein de toi et l’âme brûlée par le désir de te voir. Tâche de venir ce soir et de rester un peu de temps pour que je puisse te voir et te baiser à mon aise. D’ici là je t’aime de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 155-156
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse


25 mai [1849], vendredi matin, 11 h.

Je voudrais bien savoir ce que tu fais, à qui tu penses et ce que tu aimes dans ce moment-ci, mon petit homme. Malheureusement j’en suis réduite pour tous renseignements à mes conjectures qui ne sont rien moins que rassurantes. Si j’osais même, je te croirais capable de tous les crimes de haute trahison au premier chef de Juju et de lèsea infidélité. Ces agréables suppositions influent sur mon humeur au point de me rendre parfaitement insupportable et odieuse à moi-même. Aussi je donnerais ma vie pour deux sous y compris mes chances de choléra [1] et de République rouge [2]. Si je m’en croyais, je pleurerais comme un veau. Si je ne le fais pas c’est pour ne pas me céder, mais au fond j’en meurs d’envie. Du reste depuis ce matin je suis assez souffrante et c’est avec une répugnance invincible que j’ai essayé de déjeuner. J’ai un vague mal de cœur tout à fait désagréable et il me faudrait bien peu de chose pour me faire vomir jusqu’à l’âme. Cependant si tu voulais me payer une culotte aujourd’hui, je crois que cela me ravigoteraitb de fond en comble et que j’y ferais honneur depuis les pieds jusqu’à la tête. Mais vous n’aurez pas cette admirable inspiration et je peux bien creverc dans ma peau d’ici à ce que vous vous décidiez à tenir votre promesse. En attendant, je vous adore tout partout.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 157-158
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « lèze ».
b) « ravigotterait ».
c) « crêver ».

Notes

[1Depuis le début du mois de mars 1849, une épidémie de choléra touche la France. Elle durera jusqu’en septembre 1849 et fera plus de seize mille morts.

[2Malgré l’expansion des démocrates-socialistes qui obtiennent près de 200 sièges aux élections législatives, le parti de l’Ordre reste le grand gagnant du scrutin.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne