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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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1er mai 1849

1er mai [1849], mardi matin, 7 h.

Bonjour mon doux et trop aimé, petit homme, bonjour. Est-ce que vous pioncez encore par ce beau soleil ? Après cela, faites bien de vous reposer surtout si vous êtes revenu tard de votre comité. Je voudrais bien que cette bête de chose fût finie dans l’espoir de culottes abondantes et de flots de bonheur. Il est probable que les élections finies, je serai Juju comme devant et que vous ne vous prodiguerez pas pour un liard de plus. Mais au moins je saurai positivement à quoi m’en tenir de vos protestations. En attendant, je veux me faire illusion et croire que vous êtes sincère et plein de bonne volonté. Témoin le charmant projet que vous avez mis en avant hier et qui a fait pousser des cris d’enthousiasme à tous les vilains de la rue du Nord [1]. Quant à moi, je ne pourrai pas assez vous dire combien je serais heureuse si vous parveniez à me donner cette bonne petite journée, sans préjudice de mes deux culottes que je ne veux partager avec personne, je vous en préviens. Je ne suis pas assez abondamment pourvue de cette sorte de denrée pour m’être prodigue. Aussi, je compte garder à moi toute seule les deux fameuses culottes que vous me devez depuis si longtemps. Sur ce, baisez-moi, mon bel endormi, et continuez votre somme sur vos deux chères petites oreilles dans lesquelles je dis toutes sortes de tendresses.

Juliette

MVHP, MS a9040
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine


1er mai [1849], mardi après-midi, 1 h. ½

Comme je pourrais grogner si je voulais et comme j’en aurais le droit, voilà 1 F. et demi que vous m’avez fait apprêter pour rien. Mais je veux opposer une patience et une bonne humeur imperturbable à votre stupide et agaçante manie de me faire habiller trois heures d’avance tous les jours. Un temps viendra peut-être où vous me rabibocherez de tous ces ennuis-là par beaucoup de culottes, de voyages et d’amour. En attendant, il faut que j’attende et que je fasse bonne mine à mauvais jeu ; j’espère à force de courage et de patience que j’y parviendrai. J’ai bien regretté hier de n’avoir pas été prévenue que je pourrais t’accompagner jusqu’à ton comité. Une autre fois, tâche de penser à m’en prévenir pour que je profite de cette bonne petite occasion d’être avec toi. Es-tu rentré tard ? Je te demande cela vraiment comme si tu pouvais me répondre. Il y a bien encore autre chose que je voudrais savoir et que je ne peux demander qu’à toi en personne naturelle. Je voudrais savoir si tu pourras venir avec nous vendredi pour sûr ? Je n’ose pas y compter parce que je sens que plus ma joie serait grande et plus la déception me sera désagréable. Aussi, je voudrais tâcher de ne pas y penser d’ici là et j’y reviens sans cesse malgré moi. Je serais bien heureuse si ce charmant projet pouvait se réaliser. Voilà tout ce que je peux dire pour le moment.

Juliette

MVHP, MS a9041
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine


1er mai [1849], mardi après-midi, 2 h. ¼

C’est ainsi que vous abusez de mon rhume de cerveau, vilain monstre, et que vous me menacez de me dévaliser la nuit après m’avoir dépouillée au grand jour ? Soyez tranquille, si vous mettez jamais à exécution votre ignoble et trop peu vertueux projet, je saurai bien vous en faire repentir. Moi aussi j’ai des choses à vous que je peux vous GRINCHER la nuit comme le jour. Nous verrons quel sera celui de nous deux qui gagnera le plus à cet honnête commerce. En attendant, je suis assez vexée de ce que l’aimable Colette [2] ne m’envoie pas ma capotea. Pour peu qu’elle tarde encore quelque temps, il faudra que je sorte avec ma vieille casquette de paille noire qui n’est plus bonne qu’à faire un épouvantail dans mon cerisier. Tout cela est triste et je ne suis pas contente. Encore si je n’étais pas enrhumée et si vous me faisiez beaucoup de bonnes surprises, cela pourrait passer. Mais vous ne m’en faites que de désagréables, ce qui m’exaspèreb. Tenez, laissez-moi tranquille car je sens que mes griffes vous montent au nez et que dans ces moments je ne serai plus maîtresse de ne pas vous en enlever un morceau. Taisez-vous sans murmurer, sans murmurer.

Juliette

MVHP, MS a8198
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) « capotte ».
b) « m’expère ».


1er mai [1849], mardi soir, 6 h.

Je suis rentrée tout droit chez moi, mon amour, et par l’omnibus, encore à cause de mon pied et de l’orage qui m’a prise en sortant de chez Mlle Féau. De toute façon, je ne serais pas allée chez Eugénie parce que j’aurais craint d’être indiscrète. Ainsi, mon petit homme, me voici installée chez moi pour jusqu’à demain. Si tu veux venir charmer ma solitude, tu seras le bien venu comme tu es déjà le bien désiré. Je te dirai, chemin faisant, que le père Féau a voté pour toi hier. C’est ce qu’il appelle faire acte de bon citoyen. Je suis de son avis et j’espère qu’il y en aura plus de cent vingt mille de notre opinion [3]. Et dans cet espoir, il entre une certaine dose de patriotisme dont je ne me croyais pas capable car mon penchant véritable me porterait à désirer que tu ne sois pas mêlé à cette cohue politique. Enfin, il paraît que c’est nécessaire à la patrie et je m’y résigne tant bien que mal. Et pour mieux te le prouver, c’est que je m’intéresse à ta candidature et que je fais des grâces avec les vieux électeurs. Aussi, si vous êtes nommé, ce que je crois entre nous soit dit, il faudra que vous m’indemnisiez de tous les frais et faux frais que j’aurai faits pour y contribuer. Même si vous faisiez bien, vous viendriez ce soir me gratter un peu l’épaule et me faire la cour. En attendant, je vous souhaite un bon dîner et toutes sortes de bonnes chances.

Juliette

MVHP, MS a9042
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) « fait ».

Notes

[1À élucider.

[2À identifier.

[3Les élections législatives auront lieu le 13 mai 1849. Hugo y sera élu 10e avec 117 069 voix.

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