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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey [1], 11 novembre 1855, dimanche après-midi, 2 h.

A nous deux, mon cher petit homme, vous espériez que la restitus serait tombée dans l’eau dans le trajet de Jersey à Guernesey et que vous n’en entendriez plus parler de la vie ni des jours. Mais vous aviez compté sans votre AUTRE Juju, laquelle a l’amour plus dur qu’un pieu et chevillé dans le cœur et dans l’âme à triple passion enragée. À partir d’aujourd’hui donc, je me mets à ramer la restitus à force de baisers et de plume. Tant pire pour vous si cela vous ennuie mais je n’en rabattrai pas d’une patte de mouche. Cher adoré bien-aimé, je commence à me rassurer et à reprendre confiance en toi et j’en profite pour te sourire à travers la distance et le brouillard. Je voudrais pouvoir mourir pour toi à tous les instants de ma vie mais je recule devant certaines souffrances dont la seule pensée me rend presque folle. Aussi, mon adoré bien-aimé, si jamais tu te sens attiré vers une autre femme, quelle qu’ellea soit, et quel queb soit le gendre de séduction que tu subissesc je te supplie de me le dire franchement. Je t’aime assez pour te pardonner un tort involontaire mais je t’aime trop pour me prêter à aucune lâche complaisance qui déshonorerait notre saint amour d’autrefois. J’accepte de mourir loin de toi et en te bénissant. J’ai horreur de vivre auprès de toi en te méprisant et en te maudissant. Je t’en supplie, mon Victor tant aimé, au nom de ton ange qui est au ciel, au nom de ta ravissante fille sur la terre ne me trompe pas. Si tu savais comme mon pauvre cœur saute en t’écrivant cela tu comprendrais la sainteté de ma prière et tu ne voudrais jamais t’y refuser dans aucun cas. Ô mon Victor adoré, fais que je puisse toujours te bénir en ce monde et dans l’autre. Cher petit homme, je ne vous ai pas encore vu aujourd’hui. C’est bien chesse pour une ÎLE ENTOURÉE D’EAU, sans compter que j’ai écrit une douzaine de lettres ni plus ni moins. Ah ! mon Dieu, il me semble que j’entends votre pas ? Hélas ! non. J’en suis pour ma fausse joie, c’est bien triste. En attendant, je vais mettre mes comptes au net, je ne sais pas si je m’en tirerai car il y a bien des choses que je n’ai pas écrites de Jersey jusqu’ici. Enfin je vais essayer au risque de ne m’en tirer qu’à moitié. Baisez-moi sans compter et je vous aimerai en multipliant.

Juliette.

BnF, Mss, NAF 16376, f. 342-343
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa
[Blewer]

a) « quelqu’elle ».
b) « quelque ».
c) « subisse ».

Notes

[1Il s’agit de la première lettre écrite de Guernesey, où hugo, François-Victor et Juliette, sur le même bateau, sont arrivés le 31 octobre après l’expulsion de Jersey. Juliette loge d’abord au Crown Hotel, puis en location (à partir de mi-décembre, elle emménagera 8 rue du Havelet). Le 9 novembre, la famille Hugo s’installe au 20, Hauteville (la maison qu’ils occupent avant que hugo n’achète hauteville house).

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