15 juillet 1855

Jersey, 15 juillet 1855, dimanche après-midi, 3 h.

Je t’espérais presque ce matin, mon cher petit homme, aussi ai-je eu une espèce de déconvenue en ne te voyant pas. Maintenant, je t’attends sur de nouveaux frais et avec la crainte que ton travail ne te permette pas de venir avant ce soir. Pour tout plaisir et pour toute compensation, j’assiste dans ce moment-ci à l’agonie du vieux chien du père du Heaume et je vois saccager les roses et le rosier consacrés à la tant belle Dédé, ce dont j’enrage plus que de raison. J’ai déjà fait plusieurs speechs^a pathétiques et éloquents à ce groupe de petits vampires mais tout ce que je leur ai dit n’a servi qu’à aiguillonner leur humeur dévastatrice qui s’étend sur les pauvres têtes de pavots restantes. Décidément, cette graine de Jersiais est encore plus haïssable que celle de niais... de laquelle je suis sortie ! Quant au pauvre chien, il paraît que son heure est venue de rentrer dans le SEIN DE SON CRÉATEUR qui attend peut-être après son âme pour refaire un Saint-Arnaud [1] ? Je ne m’y oppose pas mais ce spectacle me dégoûte on ne peut pas [illis.].
Aussi je ne serais pas fâchée que quelque heureux incident vînt faire diversion à ce spectacle peu attrayant. Tu devais aller voir Téléki aujourd’hui il me semble. Alors il est peu probable que je te voie avant ce soir. Je profite de cette demie certitude pour m’enfoncer un gros rhume de cerveau car depuis que cette idée m’est venue, j’éternue sans interruption : atchi, atchi, atchi. Mon amour ne se mouche pas du pied, je vous prie de le croire.

BNF, MSS, NAF 16376, f. 279-280
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa

a) « speachs ».