10 avril 1855

Jersey, 10 avril 1855, mardi après-midi, 5 h.

Il paraît, mon pauvre petit homme, que tu es venu pendant que j’inspectais la maison avec le bonhomme du Heaume [1]. Cela ne m’étonne pas, mon guignon habituel étant donné, mais j’en bisque jusque dans la racine des cheveux. Pour comble de contrariété ton eau n’était pas tout à fait froide. Enfin quand je rabâcherai plus longtemps sur ce malencontreux incident, cela ne remédiera à rien et cela n’empêchera pas les mystifications de recommencer en temps et lieux.
Cher adoré, j’accepte avec enthousiasme ta proposition pour le manuscrit COPEAU [2] mais je n’en suis pas moins pour ce que j’en ai dit pour les trois petites LICHETTES de dessins que vous m’avez données et que je ne troquerais pas contre tous les musées de l’univers. Mon amour est de ceux qui se contentent de TOUT et le RESTE. Ne l’oubliez pas et comblez-moi encore et toujours, vous ne parviendrez pas à rassasier mon admiration et le besoin de vous aimer à tout propos et sous toutes les formes. J’ai du reste la pensée agaçante que vous étiez venu, peut-être venu avec la généreuse intention de me faire sortir, ce à quoi j’aurais consenti avec d’autant plus d’empressement que je vous ai à peine vu depuis hier. Mon Victor adoré, mon sublime inépuisable, je te donne mon âme à garder et je garde ma vie pour te servir. Reviens bien vite baigner tes chers doux yeux que j’aime et que je baise passionnément.

J.

BnF, Mss, NAF 16376, f. 149-150
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa