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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 18 janvier 1855, jeudi après-midi, 2 h.

Tu ne saurais croire, mon cher adoré, combien l’habitude de vivre avec tes sublimes pensées m’enlève toute faculté de penser par moi-même. Aussi quand je suis forcée d’exprimer quoi que ce soit pour mon propre compte, je ne sais plus où j’en suis et par où commencer. Exemple : je t’aime depuis les pieds jusqu’à la tête, et je ne trouve pas un traître mot pour te le dire d’une seule pièce, entièrement et complètement, comme je l’ai dans le cœur. Cette impuissance de l’esprit est une chose bien agaçante pour l’âme qui attend avec impatience chaque syllabe perforantea pour jaillir en rayons d’amour sur ta personne adorée. C’est une continuelle lutte entre la trop grande activité de mon cœur et l’incommensurable paresse de mon intelligence, très fatiganteb et très douloureuse, surtout quand je veux essayer de donner une forme visible aux tendresses, aux baisers qui débordent de tout mon être. Aussi, de guerre lasse, je me résigne à t’aimer tout bêtement et à quatre pattes comme un chien. Cela me permet d’ailleurs de me coucher à tes pieds au lieu de m’éloigner de toi à tire-d’aile de style comme font tous les beaux oiseaux de l’esprit.
Cher adoré, tu as bien fait de ne pas revenir hier au soir, quand même tu l’aurais pu, par cet affreux temps de neige et de glace, car avant le bonheur de te voir, il y a pour moi le besoin indispensable de te savoir bien portant et à l’abri de tout danger pour ta santé et pour ta vie. Quant aux petits Préveraud je n’ai pas pour eux la même sollicitude ardente et inquiète, aussi je les ai vus le soir sans trop m’effrayer de leur départ au milieu de la tempête.
J’espère qu’ils seront arrivés chez eux sans encombre. Malheureusement, il paraît que la pauvre petite quatre A [1] est bien malade à ce que son père Philippe Asplet a dit à Suzanne. Je compte envoyer tantôt Suzanne en savoir des nouvelles ainsi que de celles de Mme Ginestet [2]. En attendant, mon doux adoré, je te recommande d’avoir soin de toi et de ne pas faire d’imprudence.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16376, f. 36-37
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa

a) « perforantes ».
a) « fatiguante ».

Notes

[1Juliette appelle ainsi Alice-Anna-Adèle Asplet, née en 1853, fille de Philippe Asplet et filleule de Victor Hugo.

[2Mme Ginestet mourra en couches.

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