Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1844 > Décembre > 12

12 décembre [1844], jeudi matin, 10 h. ¾

Bonjour, mon bon petit Toto adoré, bonjour, mon amour chéri, bonjour mon Victor bien-aimé, bonjour. Comment vont tes pauvres yeux ce matin ? Comment vas-tu, toi ? Comment as-tu dormi ? Comment m’aimes-tu ? Je t’attends avec impatience pour savoir la réponse à toutes ces questions intéressantes. Je voudrais bien aussi savoir comment va ton beau-père. Je serai bien malheureuse s’il faut que tu ailles à Coulommiers [1]. Quoi que tu en dises ce sera deux jours de perdus pour moi. J’ai beau ne pas te voir beaucoup, je te vois, c’est une joie. Mais ne pas te voir du tout, c’est affreux. Cependant je sens que tu ne dois pas, que tu ne peux pas te refuser à cet acte de complaisance puisque ce pauvre bonhomme y attache une aussi grande importance. Mais cela ne diminuera pas mes regrets pour ces deux journées de perdues. Sans parler de l’inquiétude que cela me causera à cause de l’horrible temps qu’il fait. Voilà trois hivers de suite qui ne nous sont pas favorables. Pauvre ange du bon Dieu, pardonne-moi de te rappeler ces cruels souvenirs. À force de t’aimer, j’en deviens féroce. Pardonne-moi, mon cher bien-aimé. Si tu es forcé d’aller chercher cet acte de liquidation je tâcherai d’avoir du courage, je te le promets. De ton côté tu me promets d’avoir soin de toi et de ne pas faire d’imprudence, de penser à moi, de me plaindre et de m’aimer, n’est-ce pas mon adoré ? J’espère que je te verrai tout à l’heure. Tu as besoin de baigner tes yeux souvent et même, si tu m’en croyais, tu consulterais quelque habile médecin à ce sujet. Si ce que tu éprouves n’est pas inquiétant nous serions tranquilles et si cela était sérieux tu serais à temps pour y apporter remède. Tu vois que de toute façon il y aurait avantage à faire cette consultation. Penses-y, mon amour bien-aimé et aime-moi. J’ai besoin que tu m’aimes.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 141-142
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette


12 décembre [1844], jeudi soir, 9 h. ½

Je voudrais ne pas te répéter toujours la même chose, ce qui est assez difficile pour moi vu l’état habituel dans lequel je suis. Je sens que cela doit t’ennuyera on ne peut pas plus et je ne peux pas m’en empêcher. Ce soir plus que jamais peut-être je me sens encline à la jalousie et à la rabâcherie. Mais je ne veux pas y céder. Je me résiste je veux être AIMABLE malgré moi. Hélas !… Premièreb amabilité : j’ai un mal de tête hideux qui m’a repris ce soir avec encore plus de force qu’hier. Seconde amabilité : je vais aller me coucher probablement pour n’avoir pas de bois à brûler. Troisième amabilité : … je m’arrête pour ne pas épuiser en une seule fois le nombre assez restreint de cette espèce d’ingrédients. Tu dis, mon cher petit Toto, que tu as roulé et Barbotéc le Cousin de l’Académie. J’aurais voulu être là pour jouir de la chose. Malheureusement vous gardez ces ravissantes séances pour vous seuls. Vous êtes ou bien modestes ou bien égoïstes. À votre place j’ouvrirais la porte de l’Académie à deux battants le jour où on doit pelotter [2] ce hideux cuistre de Cousin. Hélas ! J’aimerais encore mieux un baiser de toi que toutes ces évolutions d’esprit et d’érudition… tu vois que je suis incorrigible et que j’en reviens toujours à mes moutons quel quec soit le chemin que je prenne. TROISIÈME et DERNIÈRE AMABILITÉ : mon Toto je suis bête comme une oie mais vous le méritez bien car vous êtes un bien absurde Toto que j’ai le tort de trop aimer.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 143-144
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « ennuier ».
b) « premier ».
c) « Barbotté ».
d) « quelque ».

Notes

[1M. Foucher, beau-père de Victor Hugo, lui a demandé de se rendre chez un notaire de Coulommiers pour y chercher un « acte de liquidation ».

[2En contexte : flagorner.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne