5 avril 1879

Paris, 5 avril [18]79, samedi matin, 8 h. ½

Cher bien-aimé, je sais que ta courte nuit a été bonne et je me suis assurée, moi-même, par deux fois déjà, que ta matinée n’est pas moins bonne car tu dors comme un bienheureux, et tu dois l’être, après le formidable succès de Ruy Blas hier [1] !!!!!!^a Bravo ! bravo ! bravo ! bravo ! bravo ! et avec cela des rires sur toutes les bouches, des pleurs dans tous les yeux, de l’émotion dans tous les cœurs, de l’enthousiasme dans toutes les âmes, « c’était charmant » [2] ! Quel dommage que ma pauvre santé ne soit pas à la hauteur de mon admiration, je t’en dirais tant d’autres que tu ne saurais où te fourrer pour ne pas en être écrasé, brûlé et consumé. Mais je souffre de mal en pire à ne savoir que devenir. Je crois, décidément, que le moment est venu de me replier en bon ordre. J’y songe depuis longtemps et j’espère que Dieu ne tardera pas à me signer mon dernier billet de logement. Autre guitare, que faire des billets que t’a laissés Paul Meurice pour la représentation de ce soir ? Je ne me charge pas de la distribution et M^me Lockroy n’est pas encore réveillée. D’ailleurs à la distance où nous sommes, il est trop tard pour qu’ils arrivent à temps. Le mieux, je crois, serait de les rendre à l’administration qui en fera profiter le nombreux public de ce soir. Décide, moi je t’adore.

[Adresse]
Monsieur Victor Hugo

BnF, Mss, NAF, 16400, f. 92
Transcription de Chantal Brière
[Souchon]

a) Les points d’exclamation courent jusqu’au bout de la ligne.