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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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3 août 1858

Guernesey, 3 août 1858, mardi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon bien-aimé, bonjour, ma joie, bonjour avec tous les sourires, toutes les espérances de guérison prompte et de bonheur prochain, bonjour, je t’aime. Tu étais, dit-on, disposé à passer une bonne nuit hier au soir et tu es trop honnête homme pour ne pas tenir ta promesse. J’attends avec impatience le PERMIS du docteur pour demain [1]. Jusque-là, je n’ose pas trop me livrer à une folle joie car je sens qu’un ajournement, ne fût-il que d’un jour, me ferait beaucoup de chagrin et d’autant plus que ma joie aura été plus grande. Je me contiens donc le plus que je peux mais le diable n’ya perd rien car j’ai une quasi fièvre qui m’agite et me fatigue plus que je ne voudrais. J’aurais besoin de faire diversion à mon idée fixe sur demain mais j’ai beau essayer de l’en détacher, elle y revient sans cesse. Cher adoré, je t’ai envoyé un gros monceau de charpie hier par Mlle Allix, l’as-tu reçu ? J’ai prié Kesler de te le demander car je tiens à ce que quelque-chose de moi te touche et te soulage à défaut de mes soins que je ne [peux  ?] plus te donner, hélas ! Mais bientôt, je l’espère, je pourrai t’approcher, te servir, t’aimer de toute mon âme et de tout mon cœur.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 204
Transcription d’Anne-Sophie Lancel, assistée de Florence Naugrette

a) « ni ».


Guernesey, 3 août 1858, mardi midi

Que je suis heureuse, mon bien-aimé, le docteur vient de m’assurer que tu pourras venir dîner avec moi demain. Je suis si contente que je ne sais plus ce que je dis ni ce que je fais comme si ce bonheur si longtemps désiré et si cruellement et si impatiemment attendu était une surprise inespérée pour moi. La certitude de te voir demain me cause une joie vibrante qui agite tout mon corps et résonne sur mon âme comme sur un timbre. Plus je fais d’efforts pour me calmer et plus mon agitation augmente. Je voudrais te parler de toi, rien que de toi pour faire diversion à mon moi et faire cesser si c’est possible cette espèce de danse de saint Guy de mon cœur qui, trop prolongée, irait jusqu’à la souffrance.
Tu sais, mon bien-aimé, que j’ai invité le bon docteur à dîner avec toi. C’est bien le moins que je lui fasse les honneurs de ta convalescence et que tu lui donnes les prémices de ta première sortie à ce cher docteur. Il a été presque tourmenté et aussi malheureux que moi pendant ta maladie. Je le sentais malgré tout le soin qu’il prenait pour me le cacher. Sa belle-sœur me disait dimanche qu’il avait passé de bien mauvaises nuits à cause de toi. Aussi, mon cher adoré, j’ai une reconnaissance sans bornes pour lui. De ton côté, tu dois être bien touché de son dévouement inexplicable et sans bornes et tu sauras bien la lui témoigner à l’occasion. En attendant, je suis bien heureuse et je t’aime.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 205
Transcription d’Anne-Sophie Lancel, assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]


Guernesey, 3 août 1858, mardi, 3 h. ½ après-midi

Je suis vraiment bien contrariée, mon pauvre cher bien-aimé, de l’étourderie de tes servantes qui rendent ma sollicitude attentive et dévouée inutile pour toi. Ainsi, je mets le pot au feu tous les deux jours pour que tu aies du bouillon à discrétion et ces écervelées trouvent moyen de t’en laisser manquer, faute d’un peu de soin et d’attention, c’est à perdre patience. Heureusement que ton admirable organisation t’empêche de souffrir de toutes ces lacunes dans ton régime de convalescent mais pour moi qui me fais une religion de te servir en toute chose, cela me désoblige et me contriste beaucoup. Voilà Marquand qui vient te voir. Peut-être sais-tu que c’est lui qui t’a fourni ton second plat d’épinards ? Dans ce cas-là, tâche de penser à le remercier car on n’est pas meilleur que ce brave homme, surtout pour toi, on sent qu’il est tout cœur et tout zèle. Je suis encore tout émue de t’avoir vu, mon pauvre adoré, car je t’aime plus que je ne pourrai jamais te le dire. J’attends que ton barbier [2] aita fini pour reprendre mon poste d’observation.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 206
Transcription d’Anne-Sophie Lancel, assistée de Florence Naugrette

a) « est ».


Guernesey, 3 août 1858, mardi soir, 6 h.

Tu viens à peine de disparaître de mon horizon, mon cher adoré, et déjà tout est triste autour de moi et au-dedans de mon âme, tant il est vrai que tu es la joie, le bonheur, la lumière et le soleil de ma vie. Kesler m’assure que tu vas bien malgré quelques petits ressentiments dans ta plaie. J’espère qu’il ne me trompe pas sur le peu de gravité que cela peut avoir pour ta première sortie demain, mais je suis si impatiente de te tenir que je ne serai sûre de mon bonheur que lorsque je te toucherai des mains, des yeux, des lèvres et du cœur. En attendant, la moindre chose m’inquiète malgré moi. Je lui ai dit, à Kesler, de s’informer auprès de toi de ce que j’aurai à faire pour ton pansement et à quel endroit de la maison tu préférais t’arrêter pour dîner. J’espère qu’il n’oubliera aucune de mes questions et que tu auras la bonté de lui bien expliquer ce que tu veux pour que j’aie d’avance le plaisir de tout préparer pour te recevoir de mon mieux. En attendant, je te souhaite un good appétit, une good soirée, et une encore plus good nuit. Mon bien-aimé, pense à moi. Je t’adore, Juliette. J’ai donné pour toi hier au soir à Miss Allix, un énorme pavé de charpie. L’as-tu reçu ?

BnF, Mss, NAF 16379, f. 207
Transcription d’Anne-Sophie Lancel, assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Juliette attend la réponse du docteur Terrier pour savoir si Hugo pourra dîner chez elle le lendemain.

[2Il s’agit peut-être de Dividende, barbier de Victor Hugo.

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