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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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1er août 1858

Guernesey, 1er août 1858, dimanche, 7 h. du m[atin]

Bonjour, mon ineffable bien-aimé, bonjour, santé, bonheur et amour pour toi, mon adoré. J’ai su par Kesler hier au soir que tu te trouvais très bien de ta journée et que tu avais mangé tes épinards avec plaisir. Il m’a dit aussi qu’on avait fait demander un poulet pour aujourd’hui, ce qui m’a dispensé d’en acheter un que j’avais retenu conditionnellement une heure auparavant son arrivée. Du reste, j’en ai été doublement contente car je crois savoir que mon intervention est mal appréciée chez toi. J’espère que le brave docteur [1] m’apportera de bonnes nouvelles ce matin et qu’il pourra me dire s’il te permettra de dîner chez moi mercredi. Jusqu’à présent, ce n’est qu’une espérance dont la réalisation me rendra bien heureuse. Mais d’ici là, il faut que je me contente de te voir et de t’aimer à distance, ce que je fais avec une tendresse qui t’enveloppe et te caresse de la tête aux pieds, mon pauvre petit convalescent adoré.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 198
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette


Guernesey, 1er août 1858, dimanche, 11 h. ¼ du m[atin]

Le bon docteur sort d’ici plus content que jamais de la marche rapide de ta convalescence, mon cher bien-aimé. Pourtant il n’a pas pu m’assurer que tu dîneras avec moi mercredi prochain. Il ne pourra me le dire que le jour même, après t’avoir pansé le matin. Je comprends sa réserve et sa prudence, mon pauvre bien-aimé, et je le seconderai de mon mieux par ma résignation, malgré mon ardente impatience de te revoir à baiser portant. Je l’ai prié ainsi que la famille Préveraud à prendre une tasse de thé ce soir avec les Marquand. Ce sera une occasion d’avoir de tes chères nouvelles d’une manière plus directe et plus exacte. En attendant, je ne vois pas venir Rosalie pour ton bouillon, ni pour ton œuf et cependant il est plus que l’heure de ton déjeuner à présent. Peut-être as-tu chez toi ces deux choses toutes [illis.] qui rend mon service inutile. Suzanne me le dira sans doute tout à l’heure en revenant de la messe où elle est allée ce matin en compagnie de ta Marie. Pour le moment, je suis toute seule avec ta chère pensée et je ne m’en plains pas, AU CONTRAIRE, car rien ne m’est plus doux et ne me plaît davantage après le bonheur d’être avec toi en personne que de t’aimer dans la complète solitude.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 199
Transcription d’Anne-Sophie Lancel, assistée de Florence Naugrette


Guernesey, 1er août 1858, dimanche, 1 h. ½ après midi

Tu es levé évidemment, mon cher petit homme, puisque ton lit est à l’air et tu as probablement déjeuné depuis longtemps, sans avoir eu besoin de recourir à mon poulailler ni à ma marmitea. Je ne m’en plains pas si tu as mieux chez toi car pour moi l’important est que tu te guérisses le plus tôt possible et qu’aucun soin ne te manque. J’espère voir Quesnard tout à l’heure car il me semble que voici le moment de sa garde venu. À propos de Kesler, j’ai toujours oublié de te dire dans mes gribouillis que Marquand avait fait un article sur ta maladie il y a quinze jours, mais dont il a ajourné l’impression d’après mon conseil, le conseil de Juju !…b Enfin, c’est comme cela mais ce n’est pas de ma faute, il a donc ajourné la publication de son article jusqu’à ton entier rétablissement pour avoir le droit de remercier publiquement le bon docteur de sa cure plus difficile et plus délicate que ta famille ne paraît le croire, jusqu’ici sans lui révéler brusquement le danger dont tu n’étais pas encore tout à fait sorti, j’étais si perplexe et si embarrassée de mon rôle improvisé de grand juge littéraire et médical que je voulais en décliner l’honneur en l’envoyant prendre l’avis de Vacquerie mais il n’a pas voulu et je n’ai pas insisté dans la crainte de le désobliger. Voilà mon adoré ce que j’ai fait dans toutes sortes de bonnes intentions. J’espère te voir tout à l’heure dans ton jardin, mon cher petit homme. Aussi, je me dépêche pour aller à mon poste d’amour.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 200
Transcription d’Anne-Sophie Lancel, assistée de Florence Naugrette

a) « marmitte ».
b) Les points de suspension courent jusqu’au bout de la ligne.


Guernesey, 1er août 1858, dimanche soir, 8 h.

J’avais peur que tu n’aies eu bien froid tantôt dans ton jardin, mon pauvre bien-aimé, mais Kesler m’a dit que non et que, bien loin de là, tu t’étais trouvé on ne peut pas mieux de ta petite station au grand air. Quant à moi, mon cher adoré, je te dévore des yeux et du cœur et je voudrais pouvoir te suivre jusque dans ta maison pour ne jamais te quitter. Je suis bien triste que tu aies défendu à Quesnard d’aller savoir de tes nouvelles ce soir. Je ne doute pas qu’elles ne soient aussi bonnes que celles de la journée mais pour que j’en sois sûre, faut-il encore que quelqu’un me le dise. J’enverrai Suzanne au risque de ne rien apprendre du tout. Tes domestiques ne se donnent pas la peine d’être bien informées et encore moins de répondre aux questions qu’elle leur adresse. Cependant, il faudra bien que je sache ce que je veux savoir avant de me coucher pour régler ma nuit sur la tienne. En attendant, mon cher adoré, je ne t’ai pas remercié hier de ton cher cadeau. Ce n’est pourtant pas faute d’en avoir été attendrie jusqu’au fond de l’âme et l’avoir baisé avec des transports d’adoration, cher adoré, il faudra que nous trouvions le moyen de me faire toujours porter le plus près du cœur possible tes chers doux cheveux coupés pendant cette horrible maladie. C’est une idée que j’ai comme cela, mon doux adoré, et il ne faudra pas la contrarier. Jusque-là, soigne-toi bien, guéris vite pour venir me voir bientôt. Bonsoir mon adoré, je te baise de l’âme, dors bien.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 201
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

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