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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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30 octobre [1844], mercredi matin, 10 h. ¾

Bonjour, mon bon petit Toto, bonjour, toi que j’aime, bonjour, adoré, bonjour, aimé, bonjour, vous  ! Eh ! bien, vous êtes bien malade, n’est-ce pas de la conduite héroïque que je vous ai forcé de tenir cette nuit ? Heureusement que vous avez en perspective la consolante et majestueuse étoile polaire. Et je déclare que vous le méritez bien pour ce seul fait d’hier. Voime, voime, monsire Vicdor, hé que il avre bien mérédé hune dégorazion du gourache zivigue. À propos d’étoile polaire, je viens d’écrire à mon pauvre beau-frère. Ces pauvres gens doivent croire que je les oublie, tandis qu’il n’en est rien. Tu avais promis de ton côté que tu écrirais à M. Alboize mais tu as tant d’affaires que je comprends parfaitement que tu ne l’aies pas encore fait. Tâche, si tu as un moment, de lui donner signe de vie. Je te le demande parce que je crois que toutes les bontés que tu daigneras avoir pour ce monsieur rejailliront en bons offices et en dévouement sur mon beau-frère. Tu vois que c’est encore à moi que je pense en te priant d’écrire à ce monsieur. Quand je dis moi, c’est à dire ma famille, mais tu me comprends bien malgré l’amphibologie de mon style, n’est-ce pas mon cher amour ?
Voilà encore une fichue journée qui s’annonce aujourd’hui. Un temps exécrable et la pire Marre pour tantôt ! Merci, j’aimerais mieux autre chose. Je remarque que depuis quelque temps je suis dans une veine de sollicitation de toute part. Je ne m’en plaindrais pas, Dieu le sait, si je n’étais pas forcée de te transmettre toutes ces demandes et si je ne savais pas quel surcroît de fatigue c’est pour toi. Mais le bon Dieu m’a fait une si grande grâce dans ma fille que je n’ai pas le droit de me plaindre, au contraire. Et c’est au nom de cette grâce que je te supplie, mon bien-aimé, d’acquitter pour moi cette faveur vis-à-vis le bon Dieu, en service et en dévouement, autant que tu le pourras pour tous ceux qui me demandent ton intérêt et ta protection. Je baise tes pieds.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16356, f. 305-306
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette


30 octobre [1844], mercredi après-midi, 4 h. ¼

J’espérais que tu serais venu baigner tes yeux dans la journée, mon cher petit homme, et que je pourrais t’embrasser, mais je vois maintenant que je me suis trompée. J’attends M. Marre et probablement tu ne voudras pas te trouver avec lui, ce qui rejette ta visite aux calendes grecques. Je ne te grogne pas, mon cher petit Toto, seulement je me plains de ce que tu n’es pas venu me voir, comme de coutume tu le fais, de midi à une heure.
J’espère que ton oncle Louis n’aura pas exigé de toi que tu ailles faire ta cour aux péronnelles de Saint-Denis ? Ce vieux bonhomme me paraît capable de tout et de bien autre chose, mais moi je me sens très capable aussi de l’aller trouver et de lui dire que cela ne me convient pas. Je n’ai pas besoin, moi, que ce vieux grognard vienne tout exprès de la Corrèze pour vous débaucher. Qu’il reste dans ses attributions, qu’il guérisse la teigne de ses conscrits, mais qu’il ne vienne pas faire le profond scélérat à Paris.
En attendant, j’ai une peur affreuse qu’il ne vous ait emmené aujourd’hui chez quelques vieilles toupies [1] émérites et cela m’émoustille plus que je ne voudrais. Je suis bien malheureuse de vous aimer comme cela. J’aimerais bien mieux n’en prendre qu’à mon aise comme vous au lieu de me tourmenter comme je le fais tous les jours et à propos de tout. Malheureusement, je n’y peux plus rien. Le plia en est pris.
Tâche au moins de venir avant ton dîner, mon cher petit homme, qu’il ne soit pas dit que j’ai passé toute cette longue journée à te désirer, à t’attendre et à t’aimer infructueusement. Je t’aime, mon Victor chéri, mais il faut que je te voie pour être heureuse et il faut que tu m’aimes aussi pour que je vive. N’oublies pas cela et viens bien vite. Je te baiserai de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16356, f. 307-308
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette

a) « plis ».

Notes

[1Toupie : Femme de mauvaise vie.

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